📃 LE PAQUEBOT « GÉNÉRAL CHANZY » - PARTIE 2 : LE NAUFRAGE (2020)


Lire la Partie 1 : les croisières 👈


(Suite de la première partie) Les liaisons Marseille-Alger, auxquelles était initialement destiné le Général-Chanzy, reprirent en octobre 1896. L'accueil à Alger était mitigé. Succédaient à des manifestations chaleureuses envers les officiers et soldats fraîchement débarqués, des foules hargneuses, poings fermés ou cannes brandies, partagées entre dreyfusards et antisémites alors qu'un décret venait de reconnaitre comme français les israélites algériens. Au son de La marche des zouaves et la nouba des tirailleurs des premières, s'opposaient les refrains antijuifs des secondes.

Les grèves qui touchèrent les transports au début du 20ème siècle n'entamèrent que très peu les traversées, surtout en 1904 avec les contestations des Inscrits Maritimes. Par contre, on eut pu craindre des dégâts de la tempête qui s'abattit sur Marseille en avril 1903. Heureusement, le Général-Chanzy, put avec d'autres se réfugier à l'Estaque.

Carte postale ancienne - Le Général-Chanzy par grosse mer

Carte postale ancienne - Le Général-Chanzy par grosse mer

En 1905, le paquebot fut de nouveau affrété pour une croisière. Trois cents touristes de Leipzig, appartenant à l'élite intellectuelle allemande et au cercle littéraire de la ville, partirent de Marseille, visitèrent les Baléares, l'Espagne, l'Algérie, la Tunisie, Malte, Naples, la Corse, et terminèrent leur voyage à Nice.
Tous furent enchantés de leur voyage, des aménagements et de la cuisine du bord. Il fut rapporté que dans un grand banquet donné à Tunis, plusieurs des excursionnistes, avocats, médecins, professeurs de Leipzig, parlèrent de la France et des Français en termes particulièrement sympathiques.

En 1907, la Compagnie Générale Transatlantique qui avait commandé à la Société des chantiers et ateliers de Saint-Nazaire un nouveau navire : le Charles-Roux, l'inaugura le 25 avril. Le correspondant du Figaro annonçait une longueur de 121m, pour une puissance de 9000ch (quand le Général-Chanzy n'en comptait que 3800 pour 109m). Le Charles-Roux était par le faste, les décors intérieurs, le soin donné au confort des passagers représentatif des enjeux touristiques et politiques de l'époque.

Une cabine du Général-Chanzy ; affiche des traversées de la Compagnie Générale TransatlantiqueUne cabine du Général-Chanzy ; affiche des traversées de la Compagnie Générale Transatlantique

Une cabine du Général-Chanzy ; affiche des traversées de la Compagnie Générale Transatlantique

On décida alors de rénover le Général-Chanzy, lui qui avait transporté à son bord des personnalités de tout horizon : nos hommes politiques français de tous bords, mais aussi l'Impératrice d'Autriche, le dédaigneux et grossier ambassadeur extraordinaire de l'empereur de Chine et vice-roi du Petchili, Li-Hung-Tchang (1896), les invités et journalistes invités à escorter le Président Félix Faure lors de son voyage présidentiel en Bretagne (1896), Nicolas II de Russie (1896) et même l'ex-reine Ranavalo de Madagascar (septembre 1905), restait un des meilleurs investissement de la Compagnie.
Carénage avec de nouvelles cloisons étanches ; augmentation de la puissance des machines ; agencement intérieur et ajout de huit nouvelles cabines, tout fut refait conformément aux exigences les plus modernes du luxe le plus raffiné. Il devint ainsi, après le Charles-Roux, le plus rapide courrier transméditerranéen. Le capitaine Barthélémy succéda au capitaine Lelanchon et à partir de 1908 mena de nouvelles croisières en Méditerranée.
 

La catastrophe

Lieu du naufrage ©benaventuramenorca (esp.)

Lieu du naufrage ©benaventuramenorca (esp.)

Le drame survint vers cinq heures du matin le 10 février 1910 au cours d'une liaison de routine entre Marseille et Alger. Les mauvaises conditions météorologiques et la tempête qui sévissait avaient fait manquer au nouveau capitaine Cayol (51 ans, 20 ans au service de la Compagnie, il avait été fait Chevalier de la Légion d'Honneur, un an plus tôt) le canal séparant les îles de Minorque et Majorque, pour l'envoyer se briser sur les falaises de la crique de Codolar de Torrenova, un peu en dessous de la pointe de la Punta Nati, à l'extrême nord-ouest de l'île.

Sous le choc, la coque s'était ouverte, disloquant le bateau ; l'eau s'engouffra si vite que le paquebot sombra en quelques instants noyant tous les passagers ; certains surpris dans leur cabine, n'ont pu s'en extraire assez vite, les autres affolés n'échappèrent pas aux eaux déchaînées. Minorque est malheureusement connue pour un grand nombre de naufrages qui ont eu lieu sur ses côtes et le seul phare, au cap de Cavalleria n'était pas suffisant.

Marcel Bodez, seul survivant, à l'hôpital et la grotte où il s'est réfugié, devant laquelle s'amoncellent les débris ©benaventuramenorca (esp.) • Couvertures de presses illustréesMarcel Bodez, seul survivant, à l'hôpital et la grotte où il s'est réfugié, devant laquelle s'amoncellent les débris ©benaventuramenorca (esp.) • Couvertures de presses illustrées
Marcel Bodez, seul survivant, à l'hôpital et la grotte où il s'est réfugié, devant laquelle s'amoncellent les débris ©benaventuramenorca (esp.) • Couvertures de presses illustréesMarcel Bodez, seul survivant, à l'hôpital et la grotte où il s'est réfugié, devant laquelle s'amoncellent les débris ©benaventuramenorca (esp.) • Couvertures de presses illustrées

Marcel Bodez, seul survivant, à l'hôpital et la grotte où il s'est réfugié, devant laquelle s'amoncellent les débris ©benaventuramenorca (esp.) • Couvertures de presses illustrées

Le 12 février, quand le Consul de France se rendit sur place, il ne put apercevoir qu'un des mâts du Général-Chanzy, telle une croix mortuaire sortie des eaux. Partout autour, des débris, des objets, des sacs de courrier et des cadavres flottant sur l'eau que des embarcations venues de Minorque s'empressaient de recueillir. Des 155* passagers, un seul en réchappa : Marcel Bodez, un commis des douanes, qui passa par-dessus bord, s'agrippa dans la tempête sur des roches et épuisé, au milieu des débris, trouva refuge dans une grotte de la côte toute la journée du 10. Le 11, il avertit les autorités en arrivant à Ciutadella, où il fut aussitôt soigné pour de légères contusions mais profondément traumatisé. Son récit, sans permettre d'expliquer techniquement l'accident, fut l'unique témoignage de l'horreur qui s'abattit sur le paquebot.

*Le nombre reste encore variable aujourd'hui, selon les sources. En croisant, l'ensemble des listes de passagers supposés - qui diffèrent d'un journal à l'autre - j'ai compté 174 noms différents. Les noms des passagers officiellement identifiés à l'époque sont de 138. Le chiffre de 156 est le chiffre théorique de passagers au départ.

Embarcation repêchant un corps ; les habitants de Minorque triant les débris de l'épave ©benaventuramenorca (esp.)Embarcation repêchant un corps ; les habitants de Minorque triant les débris de l'épave ©benaventuramenorca (esp.)

Embarcation repêchant un corps ; les habitants de Minorque triant les débris de l'épave ©benaventuramenorca (esp.)

L'identification de tous les passagers fut impossible et s'échelonna jusqu'à la fin février. Les corps très abîmés, démembré, décapité ou en décomposition, rendirent la tâche difficile d'autant que certains passagers prévus sur la traversée avaient, pour diverses raisons, échangé leur billet. Une main repêchée portant une bague et un nom gravé permit d'identifier Mme Crespel, une femme de chambre. C'est à partir du 25 février que des scaphandriers descendirent vers l'épave à 25 mètres de profondeur afin de rechercher d'autres corps coincés dans l'épave. Le Général-Chanzy gisait l'avant du bateau détachée du bâtiment principal et portait des traces d'un choc violent à tribord.

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Membres naufragés de l'équipage du Général-Chanzy (Cliquez pour agrandir)Membres naufragés de l'équipage du Général-Chanzy (Cliquez pour agrandir)Membres naufragés de l'équipage du Général-Chanzy (Cliquez pour agrandir)

Membres naufragés de l'équipage du Général-Chanzy (Cliquez pour agrandir)

La catastrophe eut des répercutions incroyables. La presse ne parla plus que de ça pendant des jours. La couverture médiatique a été une des plus importante puisque quasi internationale. La population des Îles Baléares en fut marquée autant que les familles des disparus. Le fait que l'unique phare n'était pas assez puissant pour avoir pu dévier le paquebot et les nombreux naufrages qui se succédaient dans cette région, fit naître la revendication d'un nouveau phare. On inaugura enfin en 1913 le phare de Punta Nati.
Encore aujourd'hui, à Minorque, on se souvient de cette tragédie.
La mobilisation fut telle que de nombreux appels aux dons furent lancés pour aider l'ensemble des familles en deuil.

Les artistes naufragés

Sur le paquebot, se trouvaient aussi de nombreux artistes qui se rendaient à Alger pour une représentation au Casino.

Affiche du casino d’Alger • Dufor • Green • Élise Henry • les Jolly-Véla • Marcelle Lafarre • Nestor • Janiot (Manque en illustration les Staklys, également naufragés.)Affiche du casino d’Alger • Dufor • Green • Élise Henry • les Jolly-Véla • Marcelle Lafarre • Nestor • Janiot (Manque en illustration les Staklys, également naufragés.)Affiche du casino d’Alger • Dufor • Green • Élise Henry • les Jolly-Véla • Marcelle Lafarre • Nestor • Janiot (Manque en illustration les Staklys, également naufragés.)

Affiche du casino d’Alger • Dufor • Green • Élise Henry • les Jolly-Véla • Marcelle Lafarre • Nestor • Janiot (Manque en illustration les Staklys, également naufragés.)

Beaucoup de théâtres à Paris, à Marseille, à Alger organisèrent des soirées en mémoire de ces artistes et en soutien à leur famille.

Voici une anecdote terrible extraite du témoignage de Marcel Bodez, relayée par le Journal du 13 février 1910 :

Les duettistes Joly-Vélia étaient naguère aux Variétés-Casino de Marseille et revenaient en dernier lieu de Monte-Carlo ; ils devaient partir mardi, manquèrent le paquebot et en furent réduits à s’embarquer sur le Général-Chanzy. Au moment du départ, la mer était si mauvaise que – était-ce un pressentiment ? – Mme Joly-Vélia refusa de monter à bord. Elle ne voulait pas partir. M. Joly fit une démarche auprès du commandant Cayol pour que leurs bagages fussent débarqués. Mais on ne put leur donner satisfaction, parce que ces bagages étaient enfouis à fond de cale. Les deux artistes furent alors obligés de suivre leurs costumes et de prendre la mer malgré leur appréhension.

Le Journal du 13 février 1910

Que reste-t-il de cette tragédie ?

Durant un mois après le naufrage, à Marseille, à Alger et partout ailleurs en France et à l'étranger les hommages, appels aux dons et à la solidarité furent extrêmement nombreux. Par le nombre de morts, cette tragédie avait pris une dimension peu égalée malgré les nombreux autres naufrages qui avaient eu lieu en Méditerranée. Pourtant un an après la tragédie, aucun journal ne revint sur le naufrage qui peu à peu tomba dans l'oubli ainsi que son seul survivant.
Seul à Minorque, le souvenir de ce drame est pieusement entretenu. Il n'en n'est pas de même aujourd'hui à Marseille ou Alger. Et en 2010, au moment du centenaire seul l'Île de Minorque commémora cette terrible date anniversaire. À une exposition composée de documents et d'objets récupérés de l'épave s'ajouta un documentaire de 17mn.

Monument dressé à Minorque à l’endroit du naufrage ; un char représentant le Général-Chanzy à la Calvacade du 8 mai 1910 à Cormatin ; Stèle commémorative à Ris-Orangis dans le parc de la Fondation Dranem ; mausolée dans le cimetière de CiutadellaMonument dressé à Minorque à l’endroit du naufrage ; un char représentant le Général-Chanzy à la Calvacade du 8 mai 1910 à Cormatin ; Stèle commémorative à Ris-Orangis dans le parc de la Fondation Dranem ; mausolée dans le cimetière de Ciutadella
Monument dressé à Minorque à l’endroit du naufrage ; un char représentant le Général-Chanzy à la Calvacade du 8 mai 1910 à Cormatin ; Stèle commémorative à Ris-Orangis dans le parc de la Fondation Dranem ; mausolée dans le cimetière de CiutadellaMonument dressé à Minorque à l’endroit du naufrage ; un char représentant le Général-Chanzy à la Calvacade du 8 mai 1910 à Cormatin ; Stèle commémorative à Ris-Orangis dans le parc de la Fondation Dranem ; mausolée dans le cimetière de Ciutadella

Monument dressé à Minorque à l’endroit du naufrage ; un char représentant le Général-Chanzy à la Calvacade du 8 mai 1910 à Cormatin ; Stèle commémorative à Ris-Orangis dans le parc de la Fondation Dranem ; mausolée dans le cimetière de Ciutadella

En 1910, un monument à la mémoire des victimes de l'épave du Général-Chanzy a été dressé sur la côte nord de Minorque. En 1985, pour le 75ème anniversaire, une croix est venue remplacer la première très dégradée.
Encore en 1910, à Cormatin (Bourgogne), lors de la cavalcade annuelle du 8 mai, un char représentait le Général-Chanzy.
En 1911, une stèle fut dressée dans le parc de la Fondation Dranem à Ris-Orangis à la mémoire des artistes victimes du naufrage.
En 1912, un mausolée fut élevé dans le cimetière de Ciuadella.

Ci dessous un lien vers le site du GRHL (Groupe Rissois d'Histoire Locale) qui présente des photos de l'inauguration du monument dédié aux artistes morts dans le naufrage :


Petit diaporama

Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer
Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer
Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer
Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer
Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer
Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer
Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer
Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer

Photo de l'épave ©Guido Pfeiffer

Extrait du Journal du 12 février 1910

Extrait du Journal du 12 février 1910


Sources
• Articles et bulletins de navigation dans Le Figaro, Le Journal, Le Petit Journal et le Petit Marseillais (Retronews) dont les témoignages d'Eugène Forcade et de M. Berg recueillis par Jules Cardane des Figaro des 16 et 20 juillet 1896
Le site benaventuramenorca (esp.)
• Le site généralchanzy.com (esp.)
• Le site marine-marchande.net
• Le site Parcours de vie dans la Navale

Vers le Nord par le journaliste Henri Haguet (octobre 1896) : récit pittoresque et illustré de la croisière de la Baltique, dont j'ai tiré les photos. Elles ont été prises par Haguet et développées par R.V. Rougeron-Vignerot.
• Wikipédia
 


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G
A-t-on la liste du personnel navigant ? second capitaine, entre autres<br /> Merci
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C
Quel voyage ! Très vite, dès les premières lignes, je me suis senti à bord de ce paquebot. Le fait d'expliquer sa carrière (et oui, sa vie ! tout à fait ! ) dans les détails nous inculque que ce bateau avait vraiment une âme. C'est d'ailleurs l'un de mes dictons personnels sur lequel je m'appuie énormément aussi pour mes écrtis : "Petits ou grands navires, tous les bateaux ont une âme..." .<br /> Un très bel hommage à ce bateau, un beau récit qui permet de ne pas oublier. <br /> Ces fabuleuses machines (voiliers ou navires modernes) ont fait partie de notre histoire, de celle de ces pauvres naufragés, ont fait partie de l'Histoire - avec un grand H, celle de l'humanité et cela depuis des siècles - et malheureusement les leçons du Passé n'ont toujours pas suffit... Les catastrophes maritimes sont toujours pathétiques, souvent pour des causes marquantes, incompréhensibles, décevantes, navrantes... <br /> Heureusement, toutes les histoires navales ne sont pas catastrophiques et tous ces navires nous font tellement voyager. <br /> Excellent article, passionnant, un monde que j'adore et je me suis vraiment senti dans "mon univers" de passionné d'Histoire en général et surtout passionné maritime ! Bravo Herwelyn !
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E
Cet article m'a pris beaucoup d'énergie car durant les semaines que j'ai pris à le rédiger, je me suis vraiment immergé dans son histoire. Et quand, enfin, l'heure du naufrage est arrivé, j'étais moi-même bouleversée, parce que j'avais voguer dessus bien avant. Ce qu'un article sur juste un naufrage, n'apporte pas tjs. On peut être troublée, triste, compatir. Mais j'ai vraiment eu l'impression de couler après avoir suivi toutes ses croisières.<br /> Merci à toi