20 Septembre 2024
• Cet article est un complément très complet à la présentation que j'ai fait de ce film dans 👉 le podcast La Playlist de l'Enfer que vous pouvez écouter ici.
• Pensez à cliquer sur les captures d'écran qui sont en format panoramique.
• 🌎 👉 Vous pouvez aussi aller directement aux lieux de tournage en fin d'article
Contexte historique
La Guerre du Pacifique, au cours de la Seconde Guerre mondiale, fut un conflit d'une ampleur sans précédent. Elle opposa principalement les forces alliées menées par les États-Unis, aux puissances de l'Axe (Berlin-Rome-Tokyo), principalement le Japon. Elle fut marquée par des batailles navales épiques, des campagnes terrestres acharnées et des bombardements atomiques.
Première Victoire n'est pas le film le plus connu sur la guerre du Pacifique. En 1964, Otto Preminger, son réalisateur, se saisit du roman In Harm’s way de James Bassett, un ancien officier de la marine, publié en 1962, pour l’adapter à l’écran. Le film sort en 1965. Il retrace les destins croisés d'officiers de la marine américaine confrontés aux horreurs de la guerre. Il débute avec l'attaque surprise par les japonais de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941.
John Wayne campe un capitaine de vaisseau du nom de Rock Torrey, commandant d’un croiseur qui parvient à échapper à la destruction. Mais on lui reproche de ne pas avoir appliqué une consigne de l’état-major. D’abord rétrogradé, il va finalement être réintégré par l’amiral Nimitz (Henry Fonda). Il retrouve alors son ami et second Paul Eddington (Kirk Douglas) tourmenté par la mort de sa femme infidèle, un fils qui n'avait que 4 ans la dernière fois qu'il l'a vu, Jeremiah (Brandon De Wilde), et tombe amoureux de l’infirmière Maggie (Patricia Neal). Finalement, la mission périlleuse de déloger les japonais de l'île Levu-vana que Nimitz lui a confié est lancée pour le meilleur et pour le pire.
Le film prend des libertés avec l’Histoire car le scénario est largement fictif et les batailles, hors Pearl Harbour, sont simplifiées ou inventées. Mais il restitue très bien l'atmosphère de la guerre, les tensions entre les officiers et les épreuves auxquelles ils sont confrontés.
Otto Preminger a mené un travail de recherche approfondi pour rendre son film le plus réaliste possible. Il a fait appel à des experts militaires pour s'assurer de l'authenticité des scènes de bataille. Il a organisé des visites de navires de guerre pour immerger son équipe dans l'univers maritime. Et si le film est en noir et blanc, c’est pour pouvoir intégrer quelques images d’archives.
Il y a deux personnages réels qui apparaissent à l'écran. L'amiral Husband E. Kimmel (joué par Franchot Tone) qui a été blâmé pour le désastre naval de Pearl Harbor, et l'amiral Nimitz.
Il y a également une scène qui implique le cuirassé japonais « Yamato » qui était le cuirassé le plus lourd et le plus puissamment armé jamais construit par le Japon.
Par contre, ne cherchez pas le nom du croiseur de Torrey du début du film, le « Old Swayback ». Ce serait difficile car une tradition dans la marine américaine veut qu'on utilise ce surnom pour évoquer les nombreux navires de guerre qui ont servi pendant la Seconde Guerre mondiale. Difficile donc de le rapprocher d'un croiseur particulier.
La carte d’état-major montrée dans le film est fausse. Mais les fins observateurs feront le lien entre la fictive Levu-vana et Vanua Levu une des îles Fidji. Dans la réalité, la seconde guerre mondiale n’a pas vraiment eu d’impact sur ce groupe d’îles.
À sa sortie en 1965, Première Victoire a rencontré un succès commercial et critique mitigé. Le film a été salué pour sa reconstitution réaliste de la guerre et ses performances d'acteurs. Le problème, c'est qu'il valorise aussi les relations familiales, amoureuses et amicales au point d'être qualifié de « soap opera » ou de « mélodrame ». Quant à moi, c’est exactement pour son traitement scénaristique atypique que j’ai un profond coup de cœur pour ce film de guerre.
Le film fait aussi trop années 60.
Parmi ces fils narratifs, il faut évoquer la relation père-fils entre Rock Torrey et son fils Jeremiah. Le premier, officier chevronné dont la vie est rythmée par le sens du courage, de l'honneur, du sacrifice et du patriotisme a du mal à accepter que son fils ne fasse la guerre que par ambition sociale.
La romance entre Rock Torrey et Maggie - autre fil narratif - est magnifique de modernité - ce qui a embêté certains critiques - mais pas moi - car Preminger n'adopte pas l'imagerie et les dialogues classiques des années 40, mais au contraire celle de son temps, les années 50-60. Les dialogues qui précèdent l'acte (que nous ne verrons pas à l'écran) entre Torrey et Maggie sont sans équivoques. On va coucher ensemble donc je préviens mon colocataire de dormir ailleurs. Pas de fausse timidité. La vie quoi.
Les femmes dans ce film comme dans la plupart des films d'Otto Preminger, ont ici des rôles forts. Qu'elles n'apparaissent que dans une scène ou plusieurs, leur présence crève l'écran. Même si la quarantenaire Patricia Neal est remarquable de justesse, j'ai un petit faible pour Jill Haworth, une toute jeune actrice découverte et mise en avant par Preminger dans son film Exodus en 1960 dans lequel elle n'avait alors que 15 ans. Petite, fluette, solaire, elle dégage une énergie folle et dans Première Victoire, où elle tient le rôle de la petite amie de Jeremiah Torrey - qui sera malmenée par Eddington (Kirk Douglas), elle réserve encore une liberté et une indépendance loin des clichés de la femme des années 40.
Patricia Neal
Vue dans Le Jour où la Terre s'arrêta... de Robert Wise en 1951 et en vedette à côté d’Audrey Hepburn dans Diamants sur Canapé de Blake Edwards en 1961
Jill Haworth
Vue dans Exodus d'Orro Preminger (elle tourna encore pour lui dans Le Cardinal en 1963)
Paula Prentiss
Vue dans Les femmes de Stepford de Bryan Forbes en 1975
Si Otto Preminger bouleverse certaines conventions c’est que dès qu'il le put, il s’auto-produisit. Il peut ainsi s’affranchir des codes qu’Hollywood lui aurait imposé. Ne pas représenter uniquement les combats, lui permet de s'arrêter sur des personnages aux multiples facettes. Il titille les institutions militaires comme ce passage où Torrey est rétrogradé pour avoir navigué en ligne droite pour gagner du temps et du carburant. Le gars a sauvé son bateau et son équipage, mais il n'a pas zigzagué. Un autre film de Preminger Condamné au silence traitait de la difficulté de mettre une institution comme l’Armée américaine face à ses lacunes sans être automatiquement perçu comme anti-américain. En attendant, dans Premières Victoires, il aborde aussi le suicide (il y en a quand même deux) et le viol, ailleurs il évoquait la dépendance à la drogue dans L'Homme au bras d'or (1955), le système judiciaire américain dans Autopsie d'un meurtre (1959), la guerre froide, le Sénat américain et l'homosexualité dans Tempête à Washington (1962), le Vatican et les conséquences de la Seconde Guerre mondiale sur l'Église catholique dans Le Cardinal (1963).
La fin du film est intéressante car elle ne se termine pas sur une victoire à laquelle le spectateur assiste. La bataille navale à l'écran tend indéniablement vers la défaite. Et effectivement c'en était une, mais qui permit d'autres actions plus victorieuses. Sauf que Rock Torrey, ayant été 3 semaines inconscient, n'en est informé que plus tard. Et quand le générique de fin défile avec ses images de tempêtes, d’explosions, et pour finir de champignon atomique, on se dit qu'effectivement, il aurait été inapproprié d'afficher la liesse, quand plus tard une victoire atomique, viendra mettre fin à la guerre d'une façon aussi radicale.
Otto Preminger était un réalisateur autoritaire et brutal, réputé pour son exigence. Il était connu pour imposer un rythme de travail intense et pour repousser les limites de ses acteurs. Néanmoins, de nombreux acteurs, comme Kirk Douglas, ont salué son talent et ont reconnu qu'il les avait aidés à donner leurs meilleures performances. Ce fut moins le cas avec John Wayne qui était habitué aux tournages rapides et aux rôles héroïques, tandis que Preminger privilégiait la profondeur psychologique. Bien que les deux hommes aient professionnellement respecté l'autre, des tensions sous-jacentes étaient palpables sur le plateau. Wayne dut totalement sortir de sa zone de confort. Malgré ces différences, leur collaboration a donné naissance à une performance remarquable de John Wayne.
Brandon De Wilde (Jeremiah Torrey) et John Wayne ; Tom Tryon (MacConnell) avec Burgess Meredith (Commander Egan Powell) et John Wayne
John Wayne, Kirk Douglas et Henry Fonda
Vus dans : ahahahaha la liste est trop longue
Brandon De Wilde
Vu dans Shane L'Homme des vallées perdues de 1953 (Enfant-star dès 7 ans, nommé aux Oscars à 11, il meurt dans un accident de voiture à 30 ans)
Dana Andrews
Vu dans Laura d'Otto Preminger en 1944 (Il joua encore pour ce réalisateur dans Mark Dixon détective en 1950)
Burguess Meredith
Vu dans la saga Rocky (de 1 à 5) où il tient le rôle de Mickey. (Acteur apprécié de Preminger il tourne 3 autres films avec lui : Tempête à Washington en 1962, Le Cardinal en 1963, Que vienne la nuit en 1967.
Apparition de James Mitchum (fils ainé de Robert Mitchum), de Larry Hagman (plus tard J.R. dans Dallas), George Kennedy (saga Airport)
C'est sans conteste le plus beau rôle de John Wayne car Otto Preminger lui offre la possibilité d'utiliser toute sa palette de jeu d’acteur dépassant de beaucoup son image habituelle d'homme fort, intouchable, phallocrate et le patriotisme chevillé au corps. Au contraire, l'homme ici est beaucoup plus doux, sensible, souriant, naturel et se retrouvera fortement abîmé physiquement et psychologiquement. Sur le tournage, l'acteur qui a toujours connu des problèmes de santé liés à son tabagisme excessif, ne cessait de tousser et de cracher du sang. Malgré tout, il a voulu attendre la fin du tournage pour s'occuper de sa santé. Une opération chirurgicale lui ôta un poumon et quelques côtes. Malgré le cancer, il tourna encore 18 films et téléfilms avant de décéder en 1979. À aucun moment, sa souffrance n'apparaît à l'écran.
Les effets spéciaux de "Première Victoire" sont-ils remarquables pour l'époque ? La bataille navale finale est assez grandiose avec toutes ces fumées, ces explosions, ces bateaux coupés en deux. Ces séquences ont été réalisées avec des modèles miniatures si grands qu'ils pouvaient être exploités de l'intérieur. Mais avant ça, le premier montage montrait des maquettes trop petites pour être crédibles. C'est grâce à Kirk Douglas, déçu par les premiers résultats, qui a mis de ses propres deniers pour construire des maquettes plus grandes, je me dis qu'il a bien fait.
La musique de Jerry Goldsmith est une merveille mais la chose ne fut pas simple car il y avait beaucoup de frictions entre lui et Preminger. En utilisant un grand orchestre, il crée une musique riche et puissante. Le musicien fait même un caméo au tout début du film lors de la soirée dansante. C'est lui qui est au piano.
L'ensemble des scènes extérieures ont été tournées à Hawaï, San Francisco et Oakland ainsi qu'à bord de navires de guerre avec leur personnel embarqué comme figurant : le porte-avion « USS Hornet », le croiseur « USS Saint Paul » et d'autres encore : USS Braine, Capitaine, O'Bannon, Philip, Renshaw et Walker.
À Honolulu (Hawaï) la scène dans le quartier d'Hell's Half Acre est difficile à situer ainsi que l'emplacement des différentes maisons. Des lieux comme Sand Island, La Pietra, Palama, Aala et Dillingham Ranch Lodge, cités comme lieux de tournage peuvent correspondre mais je n'ai pas réussi à reconnaître les lieux des scènes. On peut encore citer bien sûr Pearl Harbor et le Marine Corps Air Station Kaneohe Bay (GPS)
(Pensez à cliquez sur les photos car elles sont toutes en panoramique)
👇 ['Liz' (Barbara Bouchet) et son amant passent la nuit sur la plage] Hawaï Makapuu (GPS)
👇 [Débarquement de nuit] Honolulu, Pier 4 (GPS)
👇 ['Rock Torrey' rejoint 'Bev MacConnell' à son poste d'observation] Péninsule Waipi'O avec vue sur Ford Island à Pearl Harbour (GPS)
👇 [Scène de la plage entre 'Paul Eddington' et 'Annalee Dorne'] Kualoa regional Park face à China Man Hat Island (GPS)
Anecdote avant d'aller plus loin : alors que l'on s'attend à voir souvent le Golden Gate, pont emblématique de SF, on ne le distingue de très loin qu'une fois, dans la scène ci-dessous d'ailleurs.
👇 ['Bev MacConnell' prend le tramway] À San Francisco au croisement de Lombard Street - avec une vue sur la Coit Tower et le Golden Gate - et de Hyde Street - avec vue sur l'île d'Alcatraz (GPS)
👇 ['Bev' accueille son mari 'MacConnell']Le port d'Oakland avec en arrière plan Yerba Buena Island et Oakland Bay Bridge (GPS)
👇 ['Bev' et son mari dans leur appartement] L'immeuble au 1797 Montgomery Street (de nos jours), existe toujours. L'appartement du couple, certainement au dernier étage, est en angle avec deux fenêtres permettant à gauche une vue sur le Pier 35 et Alcatraz en arrière plan et à droite, une vue sur le Pier 27 et Oakland Bay Bridge (GPS). On distingue à gauche parfaitement le croisement entre Bay Street et l'Embarcado, rue qui donne accès aux différentes jetées (Pier en ang). On voit même les lignes obliques du passage piéton.
👇 La photo aérienne en noir et blanc ci-dessous date de 1948 mais les lieux n'avaient pas changé en 1964. Il n'y avait pas encore les constructions (de la fin des années 70 ou courant les 80's) situées entre l'immeuble et l'Embarcado. Et entre ce dernier et le bas de l'immeuble, le terrain dégagé servait encore de voies de garage pour les wagons des entrepôts alentours.
Crédits images : captures d'écran, ©Google Earth, photo aérienne 1948 de ©Harrison Ryker (collection David Rumsey) et textes ©Octobre 2024 Erwelyn - Ne pas reproduire sans autorisation
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