5 Novembre 2021
En général je réserve les éditos pour mes articles thématiques, moins pour mes chroniques mais celle-ci est un peu particulière. J'ai découvert ce film par hasard, je l'ai adoré et je l'ai présenté rapidement dans le podast 👉 Foutrack, la Playlist de l'enfer. J'ai écouté des interviews de Karl Holt, et des critiques de youtubers, j'ai lu quelques articles et comme vous connaissez mon goût pour les histoires, je trouvais qu'il y avait ici assez d'éléments pour illustrer le parcours difficile que suivent beaucoup d'artistes inconnus : leur motivation, leur oeuvre, le financement, le marketing etc.
On est d'accord, c'est moins romanesque (et surtout moins tragique que le naufrage du 👉 Général Chanzy... et moins long, quoique...) mais l'histoire d'un premier film reste aussi une aventure humaine.
Ce qui suit présente donc un film, un réalisateur, une équipe et quelques à côtés et compléments qui me laissent penser que Benny Loves You, dans la sphère du cinéma de genre mais pas que, peut faire école. Je n'ai pas mis de photos du film pour ne pas gâcher votre futur plaisir.
En quelques mots
Après un événement tragique le jour de son anniversaire et après avoir manqué une promotion au travail qu'il était certain d'obtenir, Jack essaie de prendre un nouveau départ dans la vie. Mais quand il jette Benny, son jouet préféré, il ne sait pas que son geste va entrainer des conséquences désastreuses.
Le film s'ouvre sur une des meilleures scènes parce que savoureusement agaçante et hilarante : Ashley (Bella Munday), une gamine capricieuse, torture de ses cris sa mère (Jennifer Healy) puis se débarrasse de son vieil ours en peluche, Todd. Cette nuit-là, la peluche la tire dans un placard et lui arrache les yeux. Ailleurs. Jack (Karlt Holt), un concepteur de jouets, vit toujours chez ses parents (Greg Page et Catriona McDonald), jusqu'à ce que ces derniers se tuent tous les deux par accident le jour de son 35e anniversaire. Dix mois plus tard, Jack se laisse convaincre par David (Greg Barnett), son conseiller bancaire, de vendre sa maison. Pour couronner le tout, Jack, qui espérait être promu, est rétrogradé par son patron, Ron (James Parsons), en raison d'une grosse erreur sur son projet de robot danseur de disco.
Jack décide alors de se reprendre en main. Il troque ses T-shirt de geek contre un costume, décolle ses affiches de films des murs de sa chambre et emballe et descend à la cave tous ses jouets, y compris Benny, sa peluche préférée.
Bizarrement, le lendemain, les peluches jetées la veille, réapparaissent, toutes décapitées.
À partir de là, la comédie horrifique, amorcée par quelques scènes (ouverture, et mort des parents) s'installe. Benny entre en scène. Benny qui aime très fort Jack. Benny qui fera tout pour le protéger des personnes qui pourraient lui faire du mal ou, pire, le séparer de lui.
Il s'agit alors pour Jack de tenter de contrôler Benny tout en cachant ses meurtres des deux enquêteurs (Anthony Styles et Darren Benedict) appelés suite à la décapitation sauvage de ses jouets.
Les personnages qui gravitent autour de Jack sont de vraies caricatures. David, le conseiller abject de condescendance, Ron le patron bègue et sa voix de Dr Frank-N-Furter (The Rocky Horror Picture show de Jim Sharman, 1975), les deux flics, le gentil et le méchant, qui ne servent à rien qu'à vider les placards de Jack de ses gâteaux secs et que ne renierait sans doute pas un Quentin Dupieux, Richard (George Collie), le collègue aussi prétentieux qu'abruti qui exige qu'on prononce son prénom à la française (de fait, si vous regardez la VF, cette prononciation sera inversée - mais qui penserait à regarder une comédie anglaise autrement qu'en VO ?) etc.
Tout ce beau monde jugé par Benny trop malveillant, va donc subir ses foudres. Et il y a Dawn (Claire Cartwright), une consultante en technologie avec qui Jack entame une relation. Là, c'est sûr, la jalousie prend sur le simple instinct de protection. Benny a face à lui une rivale et là, ça change tout.
De profession monteur indépendant, caméraman et animateur 3D, Karl Holt rêvait de faire un long métrage. En 2006, il présente à plusieurs festivals, un court-métrage de 25 minutes qui le met lui-même en scène : Eddy Loves You. (👉 Bande-annonce sur YouTube)
Le scénario était très succinct : un type jette son jouet favori mais celui-ci devient fou furieux. L’intention était surtout basée sur une ambiance de réelle épouvante. En 2014, Karl Holt décide de revenir à son idée de long métrage et se lance dans le scénario de Benny Loves You, dont le postulat de base repose sur son court-métrage mais en lui donnant une autre dimension. S'appuyant plus sur les mécanismes de la comédie d’horreur, il accentue la métaphore du passage à l’âge adulte et glisse bien sûr une romance qui va perturber la relation de son personnage avec Benny. Il ré-endosse le costume d'acteur.
Auto-financé, le film - les séquences avec acteurs - est tourné en deux mois avec une équipe de techniciens très réduite dont faisaient partie aussi les parents de Karl Holt. Il semblerait que Mme Holt se soit attaquée à quelques bruitages quand Mr Holt, lui, s'occupait de la longue perche. (euh, j'ai peur que ces derniers mots paraissent un peu ambigus). Un ami lui propose de tourner dans sa maison, tout en y habitant lui-même avec sa famille. Il faut faire attention à tout, aux bruits, aux dégradations possibles.
(À gauche) Stewart Holt en arrière plan et Karl Holt à la caméra • (À droite) Claudette Fruchier, maquilleuse ; Becky Brooks, figurante ; John Bowe ; Karl Holt
On limite le nombre de techniciens par scène par manque de place. Le script initial était beaucoup plus sanglant. Mais comme il fallait tout couvrir de bâches, au final, les scènes gores ont été réduites. Les décors sont limités à quatre ou cinq pièces et la caméra ne connait pas le travelling. Elle reste la plupart du temps fixe et en plan rapproché comme pour cacher l'étroitesse du plateau de tournage. Mais par la suite, grâce à un montage judicieux, le résultat est d'une grande dynamique.
Les effets sont réalisés à l'ancienne avec spaghettis à la sauce tomate (ça c'est moi qui le dit) et squelette d'Halloween (ça c'est vérifié).
Ensuite, il aura fallu 4 ans pour la réalisation des effets spéciaux concernant Benny et plusieurs mois d’affinage et de tournage des dernières scènes de bureau.
Benny ressemble à une peluche non articulée, un mélange d’Elmo (Rue Sésame), d’un chien avec de longues oreilles et la bouille d’un bébé avec une seule dent toujours souriant. Mais Benny est le résultat de quatre années de réalisation numérique. Pour un plan de 4 secondes cela pouvait présenter 48 heures de boulot. Jusqu’à 8 mois pour une séquence de 20 minutes. Là où les gros studios font travailler plusieurs équipes en même temps, Karl Holt était tout seul devant son ordinateur à réaliser des scènes exceptionnelles comme le combat avec les robots, ou le fameux ralenti de Benny passant au travers d'une fenêtre à la fin du film.
Quand j'ai contacté Karl Holt pour les besoins du podcast et de cet article, j'avais quelques idées d'interventions ou de teasers avec Karl et Benny. Avec une extrême gentillesse Karl m'a expliqué que ce film avait occupé une très grande partie de sa vie. Des années de montage l'ont vidé. Comme il le dit, pour sa santé mentale, il était temps de tourner la page. Après un marathon d'interviews, au moment de la sortie du film en DVD, il a enfin la possibilité de se poser et sans doute de réfléchir à d'autres projets.
Mais que ce film est généreux avec ses quelques 35000$ seulement de budget : scènes gores réjouissantes, humour anglais, scènes savoureusement cocasses ou décalées et tant de créativité et de ténacité pour compenser le manque de moyens financiers et matériels pour arriver à cette petite madeleine de Proust. On pourrait ajouté que Karl Holt a grandit avec le cinéma de Joe Dante et de Jim Hanson et qu'il n'est donc pas étonnant de trouver dans Benny Loves You une belle pelletée de références au cinéma de genre.
Il faut voir ce film avec bienveillance mais aussi avec la lucidité sur le challenge technique et la patience morale qu'il a représenté notamment en post-production.
En 2019, Karl Holt s'attaque à la bande originale. Si j'ai tendance à écouter en boucle la chanson Things Are Not The Same When I Am Around (par KTRL sur 👉 YouTube), je vous invite à écouter les 2 minutes des crédits de fin. C'est un clin d'œil à l'Halloween de John Carpenter dans laquelle la mélodie se fait en signature rythmique 5/4 et module les touches vers le bas. Les musiciens comprendront j'espère parce que moi je ne fais que répéter ce qu'on m'a dit.
Le film n'ayant été projeté qu'en festivals avec un tout petit nombre de séances, je préfère vous parler de la montée de l'engoument pour lui au travers du compte Twitter @bennylovesyou. C'est intéressant d'y déceler la difficulté à faire connaître son film. Le coup de pouce est lancé en 2019 par deux sélections officielles au New York City Horror Film Festival et au Festival du film Rojo Sangre de Buenos Aires en Argentine.
En 2020, les bonnes nouvelles sont souvent suivies d'annulation ou de report, Covid oblige. Pourtant, il va prendre son envol, être à l'affiche de plusieurs festivals et les critiques, jusque là silencieuses, commencent à s'intéresser à ce petit film de fabrication maison.
Il est sélectionné et nominé dans quatre catégories au Horrorhound Film Festival 2020 de Cincinnati. Présent également au programme du Frightfest de Londres - l'un des plus grands festivals d'horreur au monde. Puis au Sitges (Festival international du film de Catalogne), au Festival du film d'horreur et de fantaisie de San Sebastian (Espagne) où il remporte son premier prix du meilleur long métrage. Il voyage jusqu'en Italie au Festival Science + Fiction de Trieste et bifurque même par la France où il est projeté en séance de minuit Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez.
Et de festival en festival Benny fait son nid. Les critiques sont de plus en plus élogieuses et quand ce n'est pas le cas cela reste le gage d'un film vu, et reconnu pour ses qualités ou ses défauts. Les fans veulent posséder leur Benny. Certains le dessinent, d'autre le tricotent (dernièrement quelqu'un se l'est même tatoué) et finalement, il finit par prendre forme martérielle, lui et quelques goodies pour la sortie du DVD en 2021.
C'est en préparant l'épisode #16 du podcast 👉 Foutrack, la Playlist de l'enfer, numéro dédié au slasher, que j'ai découvert ce film diffusé sur OCS.
Petit rappel de ce qu'est un slasher (en deux mots ici, mais très bien développé par Mr Boukstachu en intro du podcast) : Un slasher met systématiquement en scène les meurtres d’un tueur psychopathe, parfois défiguré ou masqué, qui élimine méthodiquement les membres d'un groupe de jeunes ou d'autres personnes, souvent à l’arme blanche. (Wikipedia) En fait, il y a encore beaucoup d'autres cases à cocher et effectivement, je ne suis moi-même plus très sûre que Benny corresponde à cet archétype.
Certes Benny apparaît muni d'un couteau et il va éliminer un à un les personnes qui gravitent autour de Jack. Mais Karl Holt prend à contre-pied deux aspects inhérents au slasher :
Premièrement, Benny est hyper sympathique et ne porte de masque que lorsqu'il s'habille en Ninja. En plus, Jack va même jusqu'à s'inspirer de sa peluche pour créer une gamme de Benny pour sa boîte de jouets.
Deuxièmement, les tueurs dans les slashers sont souvent mus par la vengeance, alors qu'ici, notre Benny ne fait qu'agir par bienveillance vis à vis de Jack. Il ne cherche pas à se venger de lui pour l'avoir jeté. Non, il lui est trop attaché. C'est par loyauté et amour qu'il tue.
Alors pourquoi suis-je restée sur cette impression de slasher ? Sans doute à cause des cinq premières minutes du film qui met en scène Todd, un ours en peluche qui lui, va vraiment devenir affreux après avoir été relégué dans un placard et qui se venge sur la gamine et la mère. Si le film s'était appelé Todd Loves You, alors oui, on aurait sans doute eu affaire à un slasher.
Quoiqu'il en soit, Benny, est une nouvelle figure au panthéon des poupées tueuses du cinéma de genre, tout sympathique qu'il est.
Sources et liens
Crédits photos des plateaux de tournages : Karl Holt et John Bowe
👉 Interviews de Karl Holt sur YouTube
👉 Compte Twitter : @bennylovesyou
👉 Page Facebook : Benny Loves You
👉 Darkline Entertainment
Karl Holt Benny t'aime très fort (Benny Loves You, 2020)
🏆 Prix du meilleur long métrage au Festival du film d'horreur et de fantaisie de San Sebastian (Espagne)
Visible actuellement sur la chaîne OCS ou en DVD
Crédits textes et images ©2021 Erwelyn - Crédits photos de tournage ©Darkline Entertainment - Ne pas reproduire sans autorisation
Ici c'est comme les génériques de Marvel, il faut tenir jusqu'au bout
En haut : extrait de storyboard
Au milieu : une rare scène en fond vert
En bas : une photo prise à la fin du tournage de la scène de la cafétéria (détail plus bas)
Rang du haut : Jasmine Geohagen (robe bleue), Stewart Holt, Shirley Holt, John Bowe (derrière Shirley), Lisa Cox, John Ashford, Becky Brooks, Duncan Crerar, Margarida Gato) • Rang du bas : Claudette Fruchier, Fabiola Bastianelli, Annelise Boost, Stuart Barrow et Karl Holt
En bas, Colin Tennant et John Bowe tiennent une feuille de perspex au dessus de la caméra pour simuler l'enterrement de Benny vu par lui-même quand la terre sera jetée sur la plaque de verre
Bienvenue à toutes zé à tous sur FouTrack La Playlist de L' Enfer ! Le vrai grand retour du podcast avec un thème qui ne laisse pas indifférent : LE SLASHER, thème très cher à Mr Boukstachu...
https://chroniquesterriennes.com/2021/09/podcast-foutrack-la-playlist-de-l-enfer-16-slasher.html
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