25 Décembre 2022
C’est l’histoire d’un gars qui veut passer un coup de téléphone en Californie, à l’autre bout du pays. Nous sommes en 1973, et pour téléphoner, il faut passer par un opérateur de la « American Telephone and Telegraph Company : AT&T. Mais le gars en question n’est pas sûr du numéro car celui qu’il a n’est plus lisible, usé qu’il est par le temps sur une vieille boîte d'allumettes. Aussi, il demande à l’opérateur de bien vouloir lui confirmer les chiffres. Saisi par ses émotions, il se sent obligé de se justifier et commence à raconter son histoire à l’employé du téléphone.
Il veut joindre son ex qui vit à L.A. avec son « ancien meilleur ami ». Et là on comprend immédiatement son drame. Sa femme et son meilleur pote l’ont quitté pour aller vivre ensemble sur la côte ouest, histoire banale et dramatique qui lui a bien sûr brisé le cœur. Mais il « va bien », se croit-il obligé de rassurer son interlocuteur. Il veut juste leur faire un coucou pour leur montrer qu’il a « surmonté le choc ». « Ainsi va la vie » ajoute-t-il, mais « oublions tout ça » et « donnez-moi le numéro si vous le trouvez, pour que je puisse les appeler, leur faire savoir que je vais bien, et leur montrer que je suis totalement remis de leur trahison » … Mais il ajoute immédiatement « si seulement ces mots parvenaient à me convaincre que tout ceci n’a pas eu lieu... »
Puis visiblement, il a reçu le numéro, mais il demande à l’opérateur de bien vouloir le lui confirmer car il ne parvient pas à le lire : « There’s something in my eyes » : « Il y a quelque chose dans mes yeux » Des larmes évidemment … « C’est toujours pareil quand je me mets à penser à cet amour dont je pensais qu’il pourrait me sauver ». À la fin de la chanson, Jim se ressaisit et comprend que cet appel est inutile. Il renonce en disant qu’ « en fait, il n’y personne à qui il ait vraiment envie de parler là-bas ». Il remercie chaleureusement l’opérateur pour son écoute : « vous avez été plus qu’aimable, vous pouvez garder la monnaie » (« You can keep the dime »). … Une époque où on pouvait avoir un être humain au téléphone. Ça vous rappelle le 12 ?… que l’on composait pour une recherche de numéro. Bon, les opératrices n’étaient pas toujours aimables, mais au moins elles n’avaient pas appris un scénario par cœur et un ton standardisé voire robotisé…
Cette chanson, « Operator », c’est tout Jim Croce. Elle raconte une histoire de vie entière en moins de 4 minutes. On se surprend à écouter les paroles, à vouloir connaître la fin. Jim ajoute à cela une mélodie superbe, identifiable, et des arrangements sublimes à la guitare.
À l’époque de cette chanson, c’est avec son compère Maury Muehleisen qu’il tourne un peu partout aux États-Unis, et même en Europe (avec un passage par l’Irlande) enchaînant les concerts. L’année 1973 est d’abord l’année de la consécration pour les chansons de Jim Croce. On les entend enfin sur les grandes radios américaines. Toutefois, le succès fut long à venir.
Né à Philadelphie en 1943, il fait des études à l’Université de Villanova en Pennsylvanie, mais son truc à Jim, c’est la musique, et la chanson. Très jeune il rencontre Ingrid (qu’il finira par épouser et avec qui il aura un fils : Adrian James Croce, qui deviendra lui aussi musicien). Ingrid et Jim se lancent dans des tournées au cours desquelles ils font des reprises de chansons du répertoire folk, pop, de Joan Baez ou Woody Guthrie, mais aussi des chansons écrites par Jim dont plusieurs deviendront des succès par la suite. À cours d’argent, Jim décide d’abandonner (provisoirement) la musique et devient chauffeur routier pendant un temps. Puis, en 1970, il signe enfin un contrat, et sort en 1972 l’album : You don’t mess around with Jim. C’est sur cet album que figure la chanson « Operator ».
Voici un live de 1973, année du succès, avec Maury Muehleisen
On notera la subtilité des arrangements de Maury à la guitare, qui fait également les chœurs. Jim chante, et joue tout en picking (fingerstyle). Peu de gens se rendent compte de la prouesse que représente le fait de jouer de cette façon, tout en donnant au chant sa pleine émotion et les intonations qu’il convient, le tout dans un live télévisé …
Sur You don’t mess around with Jim figure bien sûr la chanson éponyme, mais aussi la magnifique chanson : « Time in a bottle » , que Jim a écrite pour son fils. Elle est bien sûr enregistrée et jouée avec Maury dans un festival de notes …
Des milliers de guitaristes professionnels et amateurs ont écrémé les tutos Youtube pour pouvoir jouer cette chanson (et les autres) sur leur folk … En 1973, ce sont carrément deux albums qui sortent : Life and times, et I got a name, sur lequel figure la superbe ballade qui donne son titre à l’album. Cette chanson figurera des années plus tard, en 2012 sur la bande originale du film de Quentin Tarantino Django unchained. C’est la chanson de la fin du film :
Les concerts et les sollicitations se multiplient pour les deux artistes qui vont d’état en état, de ville en ville aux quatre coins des États-Unis. Le succès et la reconnaissance du grand public sont enfin là. L’épouse de Jim, Ingrid, commence à vivre assez mal l’absence de son mari. Dans la nuit du 20 Septembre 1973, Ingrid reçoit un appel de la mère de Jim. « Ingrid, il y a eu un terrible accident » lui dit-elle. Et Ingrid comprend immédiatement « Et … Jim est mort, c’est ça ? »
L’avion transportant Jim, Maury et quatre autres personnes dont le pilote s’était écrasé dans la nuit quelque part en Louisiane. Il n’y eut aucun survivant. Jim Croce avait 30 ans. Quelque jours plus tard, Ingrid reçut une lettre postée par Jim avant de monter dans l’avion. Il lui annonçait qu’il voulait arrêter la musique et les tournées.
De Jim Croce il reste 5 albums studios et des titres inoubliables pour une partie des américains qui ont connu cette époque. Malgré cela, on se rend compte qu’en Europe il reste un artiste assez méconnu … Quelques personnes se souviennent bien de cette chanson reprise par Sylvie Vartan « Bad bad Leroy Brown », mais les années 70, c’est loin, n’est-ce pas ? Et les guitares folk sont passées de mode apparemment. Pour faire revivre sa mémoire et ses chansons, Ingrid Croce, aujourd’hui remariée, a ouvert à San Diego (Californie) un restaurant à sa mémoire … Il semble malheureusement que le restaurant soit fermé depuis peu … Tant pis, il nous reste les chansons.
Source image : The San Diego Union-Tribune
Operator, oh, could you help me place this call ?
See the number on the matchbook is old and faded
She's living in L.A.
With my best old ex-friend, Ray
Guy, she said she knew well, and sometimes hated
But isn't that the way they say it goes ?
Well, let's forget all that
And give me the number if you can find it
So, I can call just to tell 'em I'm fine
And to show I've overcome the blow
I've learned to take it well
I only wish my words could just convince myself
That it just wasn't real
But that's not the way it feels
Operator, oh, could you help me place this call ?
'Cause I can't read the number that you just gave me
There's something in my eyes
You know it happens every time
I think about a love that I thought would save me
But isn't that the way they say it goes ?
Well, let's forget all that
And give me the number if you can find it
So I can call just to tell 'em I'm fine
And to show I've overcome the blow
I've learned to take it well
I only wish my words could just convince myself
That it just wasn't real
But that's not the way it feels, no, no, no, no
That's not the way it feels
Operator, oh, let's forget about this call
There's no one there I really wanted to talk to
Thank you for your time
Ah, you've been so much more than kind
You can keep the dime
But isn't that the way they say it goes ?
Well, let's forget all that
And give me the number if you can find it
So I can call just to tell 'em I'm fine
And to show I've overcome the blow
I've learned to take it well
I only wish my words could just convince myself
That it just wasn't real
But that's not the way it feels
Crédits images, textes ©2023 Dominique - Ne pas reproduire sans autorisation
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