🎬 TOD BROWNING ET GEORGE MELFORD - DRACULA (DRACULA, DRÁCULA 1931)

🎬 TOD BROWNING ET GEORGE MELFORD - DRACULA (DRACULA, DRÁCULA 1931)


L'histoire
Jonathan Harker, chargé de conclure une transaction immobilière avec le comte Dracula, se rend dans son château des Carpates, où l'aristocrate, qui s'avère être un vampire, va l'hypnotiser pour le mettre sous ses ordres. Débarqué en Angleterre, Dracula ne tarde pas à créer de nouveaux semblables parmi la société locale en commençant par la jeune Lucy, fille du directeur d'un asile.
 

Parmi les nombreuses adaptations du roman de Bram Stoker, ce film de Tod browning, produit par Carl Laemmle Jr. est incontournable. D'abord, parce que le réalisateur lui-même est un de ceux qui font école dans ce cinéma des années 20-30, riche en œuvres fantastiques. Ensuite, pour Bela Lugosi, évidemment, figure emblématique du vampire transylvanien. Enfin pour sa réalisation, sa recherche de lumières, d'effets et d'ombres. Universal a mis beaucoup d’argent dans les arrière-plans et les châteaux de Transylvanie et d'Angleterre. Un vieux film qui finalement aura bien vieilli et qu'il est vraiment appréciable de voir et revoir.

Le scénario est une adaptation par l'écrivain Louis Bromfield de la pièce de Hamilton Deane et John L. Balderston, elle-même inspirée par le Dracula de Bram Stoker.
 

LE CASTING

Image ©Google

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En septembre 1930, la presse annonce Bela Lugosi comme futur Dracula.
Edward Van Sloan sera le Dr Van Helsing (acteur que l'on retrouve dans d'autres productions Universal : Frankenstein, La Momie). Lewis Ayres, le héros d'À l'ouest rien de nouveau (1930) et star montante d'Universal reçoit le rôle du romantique John Harker mais est vite récupéré pour un autre tournage. Il est alors remplacé par Robert Ames, lui aussi rappelé ailleurs pour quelques prises suplémentaires. C'est donc David Manning qui aura finalement le rôle. Helen Chandler est confirmée dans le rôle principal féminin de Mina Seward. Herbert Bunston rejoint le casting en tant que Dr Seward, père de la jolie Mina. Et Frances Dade vient le compléter en endossant le rôle de Lucy Weston. Enfin, Dwight Frye, en [excellent] Renfield, serviteur de Dracula. Dans le rôle de l'infirmière Briggs, est engagée l'actrice Moon Carroll. Bizarrement, c'est une certaine Joan Standing qui est créditée. Josephine Velez (sœur de l'actrice mexicaine Lupe Velez) entre aussi dans l'équipe, pour le rôle d'une infirmère ; elle n'est créditée nulle part.

L'ART DU TEASING

Dans la presse, on pouvait dès le mois de décembre 1930 croiser de petits encadrés promotionnels

Dans la presse, on pouvait dès le mois de décembre 1930 croiser de petits encadrés promotionnels

Promotion en 4 pages dans Exhibitors Daily du 3 décembre 1930 (Image ©Chroniques Terriennes)

Promotion en 4 pages dans Exhibitors Daily du 3 décembre 1930 (Image ©Chroniques Terriennes)


DRÁCULA, LA VERSION ESPAGNOLE

Si le cinéma muet s'exportait facilement, le cinéma sonore ne pouvait pas l'être. Aussi, dans les années 1920, les studios hollywoodiens s'étaient principalement concentrés sur le développement de films en langue espagnole pour le marché étranger. On filmait donc plusieurs versions d'un même film, en partant du même scénario, mais avec des acteurs différents parlant la langue voulue (qui pouvait aussi être du français ou de l'allemand). Aussi, le 1er octobre 1930, le producteur Carl Laemmle Jr. révèle le casting d'une version espagnole qui sera dirigée par George Melford. Le film est tourné dans les mêmes décors que le Dracula de Tod Browning. Melford assistait au tournage de Browning le jour, et réalisait la nuit sa propre version. Cette version espagnole fut une des dernières de cette époque. Les recettes de ces versions étrangères étaient assez catastrophiques et on commença à privilégier le doublage (voir plus bas les déboires du doublage français).

Bela Lugosi vs Carlos Villarías

Bela Lugosi vs Carlos Villarías


Si la version américaine est la plus connue, le film de Melford ne manque pas d'intérêt et surpasse même par endroit l’œuvre de Tod Browning. L'ambiance horrifique y est beaucoup plus appuyée par des bruitages de grincements de portes qui s'ouvrent seules et l'attitude angoissée de Renfield interprété par Pablo Álvarez Rubio. Le comte Dracula, ici sous les traits de Carlos Villarías, est beaucoup plus expressif. Mais le jeu des deux acteurs américain et espagnol étant tellement différent, je vous laisse juger. On peut aussi trouver le personnage d'Eva (alias Mina) jouée par l'actrice mexicaine Lupita Tovar un peu plus « osée ». Cela ne tient pas à grand chose - une robe en léger décolleté - , mais cela fait réagir les critiques qui y voit dans le public latin à qui est destiné le film, des spectateurs moins pudibonds. Dans les même décors, les plans sont différents, les séquences parfois plus longues ajoutant une dizaine de minutes supplémentaires au premier Dracula.


ARRÊT SUR IMAGE

🎬 TOD BROWNING ET GEORGE MELFORD - DRACULA (DRACULA, DRÁCULA 1931)


Cette séquence très furtive de la version de Tod Browning m'a toujours fait sourire. Au début du film, on voit Dracula et des femmes vampires sortir lentement de leur cercueil. Entre deux plans, on aperçoit un tout petit cercueil (photo de gauche) duquel sort une guêpe. Une guêpe vampire ? Dans la version espagnole, le petit cercueil est quasiment fermé (photo de droite), et la guêpe est à l'extérieur, ce qui fait moins son petit effet.


LE DOUBLAGE FRANÇAIS

Affiche française • Encart publicitaire dans l'Ermitage du 14 février 1932

Affiche française • Encart publicitaire dans l'Ermitage du 14 février 1932

Il y a dans le film Dracula la matière d’un grand ridicule. Et cependant personne ne rira. Véritable équilibriste, Tod Browning a su garder la mesure dans l’effroi et doser son épouvante pour éviter le grotesque.

Lucie Derain - Hedomadaire Pour vous du 1er octobre 1931

Le film est projeté en France en janvier 1932. Et les critiques comme ci-dessus (correspondant à une projection privée antérieure et sans doute encore en version originale) sont des plus rares. Au contraire, les journalistes sont très sévères vis à vis des effets spéciaux ou du jeu des acteurs.

Extrait de la critique de Jean Laury dans le Figaro du 24 janvier 1932

Extrait de la critique de Jean Laury dans le Figaro du 24 janvier 1932


Mais selon le journaliste et écrivain Jules Casadesus, l'élément le plus détestable est « l'adjonction d'un dialogue français post-synchronisé ». Le film était présenté comme un « film parlé français » (on a à l'esprit la version espagnole) or il s'agissait de doublage, technique encore récente, arrivée avec le cinéma parlant. Les acteurs qui prêtaient leur voix étaient les mêmes qui doublaient les chiens dans les comédies de Toutouville*, dans lesquelles des chiens doués de paroles étaient les héros et à en croire le journaliste cela n'arrangeait en rien la « version » française. [J'aurai tant aimé la voir ☺]


*Je n'ai trouvé aucune photo de ces films humoristiques ayant pour vedette le chien Brownie et sa brigade canine. Je peux dire que de nombreuses races étaient représentées costumées comme des humains. Filmés dans des attitudes précises, on apposait alors un doublage réalisé par des comédiens. J'ai pu néanmoins répertorier un certain nombre de titres (et dates approximatives de sortie) : Une nuit à Toutouville (1922), Nom d'un Chien (1931), Le Vainqueur de Toutouville (1931), Toutouville Melody (1931), Un Drame à Toutouville (1931), Le Maire de Toutouville (1933), La Prison de Toutouville (1933), Un crime à Toutouville etc.).
 

Rien ne côtoie plus le ridicule que du tragique raté, et cette sombre affaire de vampirisme qui eût peut-être été tout juste acceptable dans sa version originale, avec quelques sous-titres en surimpression et une explication liminaire, prend, grâce aux facéties diaboliques du doublage, l'allure d'une vaste bouffonnerie.

Jules Casadesus - La Volonté du 22 janvier 1932

Cette nouvelle version de Nosferatu
le Vampire est un chef-d’œuvre de ridicule, encore
renforcé par l'emphase des voix françaises du dou-
blage.

Cinéa du 1er janvier 1932

Le Gringoire du 05 août 1932 - Article d'André Menault sur les méfaits du doublage avec comme exemple une réplique doublée de Dracula

Le Gringoire du 05 août 1932 - Article d'André Menault sur les méfaits du doublage avec comme exemple une réplique doublée de Dracula


COLLABORATIONS

C'est le titre d'un article incroyable écrit par André Reuze dans la page Cinéma du journal L'Excelsior du 12 février 1932.
En résumé, il explique comment suite à une première projection privée (au cinéma Palais-Rochechouart-Aubert - aujourd'hui disparu), les « clients » invités - les directeurs de salles - pourront suggérés des modifications sur le film avant la projection publique. L'article ne dit pas s'il s'agit de coupes ou de réécriture du scénario dans son doublage français, et de fait, je n'ai trouvé aucune information qui confirmerait que ces modifications aient réellement été faites.
Mais cette info émanant d'une publication corporative adressée aux exploitants du cinéma, il n'est pas à douter que l'intention à belle et bien été évoquée. Combien de films ont été ainsi « modifiés » ?
Je vous laisse lire cet article dans son intégralité sur le site 👉 Gallica.


Sources
Exhibitors Daily 1930
Pour Vous du 1er octobre 1931
La Liberté du 20 janvier 1932
La Volonté du 22 janvier 1932
L'Ami du Peuple du 22 janvier 1932
Le Gringoire du 05 août 1932

👉 Lire aussi l'article La sortie de Dracula de Tod Browning à Paris en 1932 sur le site La Belle Équipe. Y sont répertoriées d'autres critiques d'époque (une ou deux communes à notre article).
 


Tod Browning Dracula ♥♥ (1931) ; George Melford Drácula ♥♥ (1931) • DVD Universal
 


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P
bonojur petite erreur au tout début du descriptif du film c'est harker qui se rends en transylvanie voir le comte pas renfeild sinon merci pour cet article passionnant
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