12 Décembre 2021
Cet article vous est présenté par Christobal Columbus, qui tient la rubrique « Récits maritimes » sur notre site partenaire Le Galion des étoiles. Il y raconte des Histoires de bateaux, de galions et de navires, certains connus, d'autres oubliés. Il s'est proposé de publier de temps à autres sur Chroniques Terriennes sur d'autres sujets et je l'en remercie. Si ce premier article est exceptionnellement maritime (je tiens à ce que sa rubrique spécialisée reste sur le Galion), c'est qu'il s'est arrêté sur deux passages qui l'ont intrigué et qu'il met en relief après quelques recherches documentaires comme nous les aimons sur ce blog. Bonne lecture. Erwelyn
👉 Lire la chronique
👉 Un mystérieux phénomène céleste
👉 Tremblement de terre de 1705 à Smyrne
👉 Voir les commentaires
Quatrième de couverture
Les Mémoires laissés par les marins de Louis XIV sont rares, et d'un style assez technique. Ceux du comte de Forbin (1656-1733), trop longtemps occultés, se révèlent exceptionnels tant par l'étendue et la variété des aventures militaires qu'ils couvrent que par la plaisante vivacité de leur écriture. Nul n'a parcouru tant de mers, du Siam à la mer Blanche, nul n'a pu faire valoir, en tant d'opérations risquées, une pareille connaissance des flots et des hommes ; nul n'en a parlé avec plus d'agrément. Le franc-parler de cet officier trop intelligent lui valut d'être, jusqu'à ce jour, fort calomnié. Il est temps que ce texte passionnant, divertissant d'un bout à l'autre, contribue à lui rendre justice tout en nous régalant de plaisirs sans mélange.
[Cet ouvrage est composé du texte (publié en 1729) du Chevalier et Comte Claude de Forbin, d'une postface, d'annexes (lettres de Forbin et rapports maritimes) et des appendices numérotés par Micheline Cuénin.]
La lecture de ce récit est assez ardue car il est rédigé en vieux français et principalement au passé simple ou passé antérieur. Les noms de pays ou de villes ont changé et les personnages ont souvent des titres de noblesse. D'où l'importance des appendices : 440 notes explicatives rien que pour le récit. Dans la postface y sont expliquées les différentes éditions publiées depuis l’époque, les critiques et contre-critiques sur Forbin lui-même et sur ses écrits. Je n’ai fait que survoler les annexes : lettres ou rapports envoyés par le comte à sa hiérarchie navale, roi et ministres. Ces courriers sont richement détaillés et fortement ressemblants, racontant ses exploits, ses demandes et parfois ses protestations. Tout lecteur peut donc décider d'une lecture approfondie des Mémoires du Comte de Forbin et trouvera satisfaction dans ces détails.
À gauche : Claude de Forbin en uniforme siamois, avec notamment un lomphok sur sa tête. (Source : Wikipédia)
Si le style de Claude de Forbin a parfois été fortement critiqué au fil de ces trois derniers siècles, je n’ai pourtant trouvé dans cette autobiographie que grandeur, courage, détermination et audace de la part de ce comte. Audace qui lui a fait prendre plusieurs fois des décisions ou commettre des actes qui ont failli lui coûter cher. On peut aussi remarquer quelques répétitions dans le descriptif des évènements vécus mais mon ressenti est que l’auteur les faisait par sincérité et afin d’être le plus précis possible. Ce chevalier a commencé par faire partie des mousquetaires pour enfin faire une carrière incroyable dans la marine française, sans jamais être parvenu au titre qu’il a tant espéré de lieutenant général des armées navales, malgré ses quarante années au service de son pays dont trente ans dans la marine.
La mentalité de l’époque – comme le dit si bien Jacques Martel* – fait froid dans le dos. La mésentente obstinée du ministre de la marine Pontchartrain envers sa personne me paraît exécrable et aura finalement eu raison de la patience et du courage de ce cher Forbin qui de toute façon, avait décidé d’en rester là pour se reposer enfin.
Du Siam aux côtes sud-américaines, de sa maîtrise de la mer Adriatique jusqu’à la mer du Nord, l’esprit du comte de Forbin semble encore y voguer. Quelle épopée, quelle vie, quelle carrière maritime ! Tant de courage, de combats, de prises de navires et malheureusement de bateaux brûlés dans le seul but de bloquer les échanges commerciaux des ennemis ; ce qu'on nommait la guerre de course.
Je remercie tout particulièrement Jacques Martel* qui m’a conseillé cette lecture au travers de sa 👉 fiche de lecture sur le site Le Galion des Étoiles. Belle découverte que ces Mémoires du comte de Forbin, présenté par Micheline Cuénin, ouvrage très précieux à mes yeux qui a trouvé une place de choix dans les vitrines de ma collection navale !
*Jacques Martel est un auteur français d'héroic (dark) fantasy qui a 👉 sa cale sur le Galion et qui y publie aussi des chroniques littéraires.
Dans le chapitre « 1701 », Forbin qui décrivait toujours très précisément les choses, les lieux et les personnages qu'il côtoyait, écrit :
" On vint m'avertir pendant la nuit qu'il paraissait un nouveau soleil dans le ciel. Je montai sur le pont et je vis effectivement un grand feu qui brûlait en l'air, et qui éclairait assez pour pouvoir lire une lettre.
Quoique le vent fût très violent, ce météore ne branlait point : il brûla environ deux heures et disparut, en s'éteignant peu à peu.
Les pilotes, les matelots et tout l'équipage, effrayés le regardèrent comme la marque infaillible d'une tempête dont nous étions menacés. Il ne fût jamais possible de les tirer de là : j'eus beau leur dire que ce feu ne pouvait être formé que par les exhalaisons du mont Gibel [l'Etna], dont nous étions fort près, il n'y eu jamais moyen de les persuader "
D'abord, ce passage trahit la superstition que les marins avaient quant aux phénomènes célestes inexpliqués. Voir plusieurs soleils dans le ciel (phénomène appelé 👉 parhélie) était signe de prochaine tempête. Mais il fait nuit, et le navire est alors au large de la Sicile. Il tente donc - de manière convaincante ou pas - une explication rationnelle pour calmer son équipage. Il doit bien connaître les siennes de l'Etna dont la dernière éruption la plus notable remontait à 1669. Seulement voilà, comment un volcan aurait-il pu entretenir un feu dans le ciel tel un « nouveau soleil » en pleine nuit ? Il emploie le terme « météore », c'est donc que cette boule de feu devait être nettement plus haut dans le ciel qu’un volcan à l’horizon. Si nous ajoutons le fait que ce phénomène « éclairait assez pour pouvoir lire », on peut certainement laisser de côté cette hypothèse volcanique.
👉 La parasélène (équivalent du parhélie pour la lune) ne s'observe que plus rarement et principalement dans les régions polaires et s'il s'était agi de 👉 feux de Saint-Elme, Forbin les aurait reconnus, lui qui les décrit si bien au sommet des mâts de son navire lors de sa campagne de 1696, le long des côtes de Barbarie (entre l’Égypte et le Maroc).
L'immobilité du phénomène ne peut pas décrire non plus une 👉 foudre globulaire : le résultat encore mal compris aujourd'hui d'une décharge électrique entre nuages ou nuages-sol qui ne produit pas un éclair mais une boule de feu. Quand cette dernière n'entre pas dans les maisons (Tintin et les 7 boules de cristal 😉), elle peut rester dans le ciel mais toujours en utilisant des trajectoires aléatoires (voir un exemple sur 👉 Youtube) et avec des bruits assourdissants. De plus, Forbin ne parle d’aucun orage ni tempête mis à part un vent contraire contre lequel il a dû lutter pour arriver à Brindes (au sud de l’Italie).
Nous passerons aussi sur l'éventuelle apparition d'un ovni même si cet évènement décrit par le navigateur est souvent évoqué dans les sources ufologiques.
Probablement, Forbin a-t-il vu un évènement bien plus puissant et très éloigné dans le ciel. Et par élimination, il reste l'éclat d'une probable supernova. L’une d’entre elles aurait été observable à la fin du XVIIe siècle : le rémanent en radio de 👉 Cassiopée-A, seulement découverte en 1947 et dont la lumière de l’explosion a été estimée à 300 ans. Tout en sachant qu’une supernova qui se trouve à 11,000 années-lumière est difficile à dater, un astrologue a, malgré tout, pu estimer celle-ci aux alentours de 1667 ou 1680. Ceci - en comptant l’estimation de 300 ans faite à sa découverte - n’est pas si éloigné de la nuit énigmatique de 1701 vécue par le comte de Forbin. Reste à savoir si l'on peut lire son courrier au clair d'une supernova.
Autres sources : 👉 Wikipedia : Etna 👉 Italy's volcanoes (italien) 👉 Département d'astrophysique CEA Saclay
Au chapitre « 1705 » (jour indéterminé), Claude de Forbin, qui se trouve à 15 lieues des côtes de Smyrne (Izmir en Turquie), afin de protéger les navires de commerce français en Méditerranée, est surpris par une violente secousse qui fait craquer les fenêtres du château arrière de son navire. À son grand étonnement, son pilote lui explique qu’il s’agit d’un tremblement de terre ; il en eut la confirmation dès le lendemain.
Ce séisme causa la panique mais ne fit pas de victimes. De la longue liste des tremblements de terre à Izmir, celui-là n'est pas considéré comme un des plus graves. Toutefois, en rapportant que les fenêtres du navire tremblaient, Claude de Forbin témoigne de la répercussion en mer du séisme.
Il est intéressant de noter que le navire de Claude de Forbin était situé dans cette partie de la mer Égée, entre la Grèce et la Turquie, une région riche en failles.
La même année, le 3 septembre 1705, à 30 kilomètres d'Athènes en Grèce, à l'opposé de Smyrne, la terre fut violemment secouée, détruisant en partie l’église Sainte-Trinité d’Athènes et touchant d'autres monuments comme l'Acropole sans faire, là non plus, de victimes laissant penser que la magnitude était assez faible, comme à Smyrne.
Ce n'est qu'en 1999, après le terrible tremblement de terre au nord d'Athènes du 9 septembre, lui-même une réplique de celui de la ville d'Izmit en Turquie trois semaines plus tôt, qu'on a découvert la 👉 faille Parnitha. Étudiée par le sismologue 👉 Gerasimos Papadopoulos, elle est sans aucun doute la cause séisme athénien de 1705. La faille est toujours active aujourd'hui. Elle s'étend sur environ 14 kilomètres et peut provoquer des tremblements de terre jusqu'à 6,4 sur l'échelle de Richter.
Autres sources : 👉 www.in.gr 👉 sabah.com.fr 👉 www-tanea-gr
Ambraseys & Finkel (1995) p.98 👉 Hellenic Macroseismic Database (pdf.)
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Mémoires du Comte de Forbin | Claude de Forbin | 1656-1733
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Comte de Forbin Mémoires du Comte de Forbin (1656-1733) • Introduit et annoté par Micheline Cuénin aux éditions Mercure de France, 1993 • rééd. 2007
Crédits images ©2021 Erwelyn, textes ©2021 Columbus Christobal & Erwelyn
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