28 Mai 2020
« Les deux dames vénitiennes » (aussi intitulé « Les [deux] courtisanes ») a été réalisée par Vittore Carpaccio durant la Renaissance entre 1490 et 1495.
Il représente deux dames oisives, en poses abandonnées sur un balcon ou un jardin clos entourée d'objets de décoration et d'animaux familiers. Des colliers de perles entourent leur cou. Un enfant ou un page apparait aussi en arrière plan.
Cette peinture, visible au musée Correr de Venise, recèle de mystères que ce soit au niveau des deux femmes vénitiennes qui occupent la plus grande partie de la toile, de leur regard, de leur situation sociale, que des différents objets, animaux et personnages supplémentaires qui sont autant de comportements voire de symboles à décrypter.
De plus, en 1963, des chercheurs réalisent que le lys apparaissant au bas d’un autre tableau de Carpaccio, « Chasse sur la lagune », exposé au musée Getty en Californie pourrait être la continuité par le haut des « Deux dames vénitiennes » dont le cadrage étrange coupe en haut de la toile une tige dépassant d’un vase. Il n’y a qu’un pas pour imaginer que les deux panneaux étaient en fait juxtaposés et même, pourraient-ils faire partie d'un tout encore plus grand dont il ne resterait que la moitié.
Dans son essai de 1889 Venise, ses arts décoratifs, ses musées et ses collections, Émile Molinier prend exemple de ce tableau qui en dit plus long sur la vie vénitienne de la Renaissance. Il rappelle aussi que Venise, à la Renaissance, était l'une des villes qui vit éclore le plus de lois somptuaires visant à refréner le luxe. Pourtant :
Nulle part en Italie, on ne fit un plus grand étalage de luxe, nulle part la fantaisie des femmes en matière de toilette ne s'était donné plus libre carrière. Les peintres vénitiens copièrent fidèlement les somptueux costumes qu'ils voyaient, et leurs tableaux constituent à ce point de vue une série de documents on ne peut plus précieux.
Un petit essai d’à peine 80 pages d'Édouard Dor, intitulé L'ennui des deux vénitiennes, nous fait découvrir cette œuvre de façon tout à fait originale et plaisante rendant son étude accessible au plus néophyte d'entre nous. D'abord, dans des chapitres très courts, il nous apprend à observer la toile dans ses moindres détails afin d’y déceler les intentions du peintre. On détermine par exemple les éléments couplés : les femmes, les oiseaux, les chiens, certains objets auxquels j'apporte mes propres suggestions : la paire de chaussure, le mouchoir et la lettre tenus chacun par un être vivant, etc. Dor apporte ses idées, et le lecteur et observateur pourra y trouver d'autres indices tout comme le site Artifexinopere.com qui ajoute aussi aux interprétations possible. Tel un enquêteur , l'auteur se prête à une succession d’extrapolations et de réflexions, toutes assez crédibles et fines.
Il termine son essai par une comparaison judicieuse avec deux autres tableaux : « Intérieur, Femme à la Fenêtre » de Caillebotte (1880) et « Appartement à New-York » de Hopper (1932) qui font effectivement écho au tableau de Carpaccio de par la captation de l’ennui et de l’inaction des femmes qui y sont représentées par opposition à l’ « action » des hommes notamment dans « Chasse sur la lagune ». Une manière explicite de nous dire que la condition de la femme n’avait toujours pas évoluée quatre siècles plus tard.
À propos d'Édouard Dor
Il a écrit d'autres analyses de tableaux dans la même collection :
► Énigme de la mélancolie (sur Pontormo), Les couilles d'Adam (sur Masaccio, Rodin et Picasso), Le concert (sur Nicolas de Staël) et Une inquiétante étrangeté (sur Véronèse, Manet et Matisse).
Émile Molinier Venise, ses arts décoratifs, ses musées et ses collections • Librairie de l'Art, (1889) dispo sur Gallica
Édouard Dor L'ennui des deux vénitiennes ♥♥ (2006) • Sens & Tonka
Crédits textes ©2017-2021 Herveline Vinchon - Cet article a été écrit en septembre 2017 pour le blog de la Librairie Soleil Vert et mis à jour en mai 2020 - Ne pas reproduire sans autorisation
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