21 Mars 2022
Wolfblood : A Tale of the Forest que je vous présente date de 1925 et étant tombé dans le domaine public, je viens de le récupérer pour une publication sur 👉 notre chaîne YouTube.
J'ai intégré des sous-titres français sur chaque ardoise en anglais. Les musiques ayant été ajoutées arbitrairement sur les vidéos déjà publiées sur YouTube, je les ai volontairement supprimées afin d'être au plus près de l'expérience du cinéma muet. Parfois, un pianiste accompagnait la projection de ces films mais ce n'était pas systématique. Dans tous les cas, je n'ai pas trouvé d'information sur l'éventuelle partition qui aurait été utilisée, cette dernière d'ailleurs pouvait aussi être improvisée.
Le changement de couleur montre que plusieurs pellicules ont permis de reconstituer le film. On s'aperçoit alors que quelques passages sont recollés deux fois. Un intertitre était aussi monté au mauvais endroit. C'est la seule rectification que j'ai faite (00:39:03). Toutefois, cet intertitre se retrouve désormais avant une autre ardoise ce qui laisse supposer que l'une des deux n'a pas été utilisée au montage final, ou qu'il y a eu deux versions ou qu'il manque un morceau de pellicule entre les deux intertitres. Dans tous les cas, cela n'impacte pas la narration.
Je vous propose donc de découvrir ce film avant ou après avoir lu ce qui suit. Vous trouverez néanmoins un résumé détaillé du film, plus bas.
Wolfblood, 1925 (intertitres français)
Au Canada, sur une exploitation forrestière, le Dr Horton trouve le contremaitre Dick Bannister mourant après une altercation avec son rival Leveroux. Afin d...
Dick Bannister (George Chesboro) est le nouveau chef d'équipe de la Ford Logging Company, une société canadienne de bûcherons en conflit avec la puissante Consolidated Lumber Company. Le propriétaire de cette dernière, Deveroux (Roy Watson) fait appel au contrebandier LeBecq (Milburn Morante) pour blesser des hommes de Bannister. Leur rivalité de plus en plus violente incite Bannister à faire venir le directeur de la compagnie, si possible avec un chirurgien. Il s'avère que c'est Miss Edith Ford (Marguerite Clayton), l'héritière de la compagnie qui vient inspecter le camp de bûcherons, accompagnée de son fiancé le Dr Horton (Ray Hanford). En arrivant au camp, Dick découvre ses hommes en état d'ébriété et chasse LeBecq surpris à leur vendre son alcool frelaté. Mais ce dernier se venge en provoquant la chute de plusieurs arbres manquant de blesser Dick.
Très vite Dick et Edith tombe amoureux.
Le compte-rendu des activités mystérieuses de Deveroux pousse Bannister à partir en reconnaissance sur le territoire ennemi où il découvre un barrage sur la rivière qui empêche ses grumes de passer. Furieux, il s'entretient avec Deveroux qui le frappe. D'autres bûcherons interviennent et l'un deux abat une pierre sur la tête de Dick.
Laissé pour mort, il se réveille en pleine nuit et tente de s'enfuir à la vue d'une meute de loups mais trébuche.
En revenant au camp après un appel d'urgence au village, le Dr Horton découvre Dick. Encore loin de tout, il le porte jusqu'à une cabane isolée qui s'avère être celle de LeBecq. La perte de sang du contremaître est si importante qu'il a besoin d'une transfusion. LeBecq refuse de se porter volontaire mais propose du sang de sa louve. Horton se renseigne dans un de ses livres de médecine :
« Et c'est un fait que le Dr d'Ore a réussi à transfuser à l'homme du sang animal. La question demeure cependant de savoir si, à la suite d'une telle transfusion, le caractère, la nature et le désir du sujet humain peuvent participer de la nature de l'animal dont le sang a été utilisé. » Horton procède à la transfusion et demande à LeBecq de garder le silence.
Dick se remet grâce aux bons soins d'Edith.
Le crapuleux LeBeq révèle le secret à Deveroux. Et la rumeur se propage jusqu'à à la Ford Company. Incrédule, Bannister n'en croit pas un mot. Mais d’une façon ou d’une autre, quand il fut debout, la vieille amitié entre les hommes et leur contremaître avait disparu ! Le doute le conduit au chalet du Dr Horton où il découvre le livre et le passage sur la transfusion animale. À ce moment là Horton pénètre dans la maison sans remarquer sa présence, rejoint par Edith qui lui fait part de ses sentiments pour Dick. Le chirurgien confirme à la jeune femme la transfusion de sang de loup.
La présence de Dick est découverte, et il s'enfuit. Devereaux est découvert égorgé et les soupçons se portent sur Dick. Ce dernier n'a aucun souvenir, mais des bribes reviennent et il finit par se rappeler une altercation avec son rival.
Persuadé d'être devenu une bête, à moitié délirant, il sent l'appel de la meute fantôme et la suit jusqu'au Wolfs Heard Rock, une falaise de mille pieds. Secouru par Edith, il apprend plus tard par le Dr Holton, que LeBecq avait assisté à un combat loyal entre Bannister et Deveroux. Mais en rentrant chez lui, ce dernier s'était tordu la cheville et les loups étaient arrivés.
Le chirurgien reconnut aussi qu'il avait menti à Edith en lui faisant croire que le sang de loup allait transformer la personnalité de Dick. Il avait agi par pure jalousie. Horton rentre seul en ville laissant le jeune couple à sa nouvelle vie.
Wolfblood : A Tale of the Forest est cité comme un des premiers films sur la thématique du loup-garou. Il l'est par élimination, puisque c'est le plus ancien dont on possède encore une copie. Le tout premier, aujourd'hui perdu est The Werewolf d'Henry MacRae de 1913.
Comme on le voit dans le résumé le terme « loup-garou » n'apparait que très tard dans le film, après la transfusion animale, dans une ardoise traduisant les pensées de Bannister qui se rappelle une ancienne légende. (voir plus bas 👉 Le Loup-Garous du Grand Nord)
Au moment de la transfusion, le Dr Holton a bien pris connaissance des doutes quant à la possibilité de changement de la personnalité soulevé par son essai médical mais son pragmatisme le pousse à sauver un homme en danger de mort. On peut supposer qu'il demande à LeBecq de garder le silence uniquement par crainte des superstitions parmi les bûcherons. Quand il découvre que sa fiancée est amoureuse de Dick, il profite de la parole lâchée par le renégat pour s'en servir contre son rival en confirmant à Edith que « le sang dans son cerveau va changer toute sa personnalité, sa mentalité, ses désirs, toute sa vie ! »
Il n'y a donc pas comme dans les films classiques du genre de transformation d'homme en bête. Le changement physique de Bannister est une réaction d'autosuggestion qui lui donne un aspect sauvage : ombre de pilosité d'un homme qui ne prend plus le temps de se raser, visage effaré, déformé par le doute, gestes brusques envers Edith. La peur le fait rêver d'une meute fantomatique de loups (à l'effet visuel très soigné) et la folie va le pousser à vouloir se jeter du haut d'une falaise au nom prémonitoire, Wolfs Head Rock, en raison des rochers en forme de tête de loup qui la surplombe.
Wolfblood est donc moins un film d'épouvante qu'un drame romanesque dans un environnement rural. Et la vengeance, puisque tel est la motivation finale, n'est pas aussi machiavélique qu'il y parait puisqu'elle se trouve improvisée après que la rumeur se soit déjà répandue. Notez que le Dr Horton est même très chaleureux avec Dick jusque-là. Ce n'est qu'à la toute fin qu'il entrevoit la possibilité de se servir des ragots pour éloigner Edith de Bannister.
Le spectateur qui n'a aucune idée de l'intrigue, est déstabilisé par ce revirement de scénario jusque-là assez banal, certains diront « ennuyeux » mais qui, par le traitement de l'image, offre une atmosphère soudainement angoissante.
De loup-garou, il n'y a donc pas au sens physique, ni même de surnaturel. Toutefois, il est intéressant de se pencher sur l'image du loup-garou dans le folklore canadien. Là-bas, il est lié à la morale catholique. La négligence des devoirs religieux est souvent à l’origine du sortilège. On peut donc interpréter le choix du réalisateur pour cette figure mythologique comme étant la métaphore de la convoitise d'un homme pour la femme d'un autre.
On peut aussi interpréter la transfusion sanguine comme une métaphore du métissage évidemment impie dans ces régions du nord habitées par les peuples tlingits ou inuits. On remarque d'ailleurs que le personnage de LeBecq, lui-même un sang-mêlé, est par défaut un être aux actions peu chrétiennes. Il faut donc sans doute voir dans cette métaphore l'expression du racisme envers ceux et celles qui fauteraient avec les races autochtones.
Lorsque que Dick Bannister évoque la légende du loup-garou du Grand Nord « le loup à forme humaine », il fait référence à l'adlet, un pendant arctique du loup-garou.
La légende de l'adlet (erqigdlit en inuit) est connu tout autour du Cercle Arctique incluant l'Alaska, le Grand nord Canadien et le Groenland. Le folklore décrit l'adlet comme étant à moitié humain et à moitié canin.
L'histoire raconte qu'une très belle femme inuit tomba amoureuse d'un chien rouge géant. Elle enfanta dix bébés couverts de fourrure. Chassée de sa tribu pour cet acte contre-nature, elle envoya dans un bateau cinq de ces enfants vers ce qui est aujourd'hui l'Europe et seraient à l'origine des « races blanches ». Les cinq autres enfants grandirent en devenant les féroces adlets. Ceux-là avaient la particularité d'avoir le corps et la tête d'un humain et les pattes d'un chien et ils regroupaient en eux les penchants négatifs de leur père et de leur mère. Ils furent abandonnés sur une île éloignée des humains afin de ne pas se rassasier des tribus locales. Ils se reproduisirent et devinrent une race à part entière d'humanoïdes.
On trouve ici aussi quelques codes du western comme la rivalité entre propriétaires terriens à une époque où la concurrence était rude.
Le tournage en décor naturel permet de s'imprégner de la majesté de la forêt canadienne. Et si le début du film vous paraît sans intérêt, alors faut-il se focaliser un peu plus sur le métier de bûcheron, ici très bien représenté. À la fin du 19e siècle et au début du 20e l'exploitation forestière était l'économie principale du Canada. Les nombreuses scènes d'entaille et d'abattage, le transport du bois par voie ferrées ou fluviale, la rudesse des règles et la prohibition de l'alcool dictée par le « Volstead Act » en vigueur aux États-Unis de 1919 à 1933, beaucoup d'éléments rendent hommage à cette activité.
Bannister prend le temps d'expliquer ce que deviendront les troncs des pins géants, à savoir des mâts de navire et des poteaux télégraphiques. On regrette presque que la copie ne soit pas très bonne pour mieux apprécier les séquences avec la scierie en arrière-plan et par devant les grumes flottant sur la rivière.
La magnifique photo (en plissant les yeux ☺) est de Lesley Selander qui deviendra un réalisateur très prolixe de westerns.
Bruce M. Mitchell (-) était un réalisateur et écrivain américain, actif pendant la période du cinéma muet.. Avec l'avènement du cinéma parlant dans les années 1930, Mitchell abandonna la réalisation et devint acteur, apparaissant principalement dans des petits rôles.
George Chesboro (1888-1959) était un acteur américain qui, après quelques rôles principaux dans des films muets, est devenu un acteur omniprésent dans les westerns « B ». Rarement crédités mais toujours là, il a terminé sa carrière dans les années 1950 avec la disparition du B-Western. Wolfblood est sa seule participation à une réalisation.
Un autre film qui je sais va rencontrer un accueil cordial partout chez les professionnels du cinéma est « Wolfblood » mettant en vedette Marguerite Clayton et George Chesboro. En dehors de sa grande valeur dramatique, ce film sera aussi reconnu comme une production unique, car l’histoire est entièrement différente de tout ce qui a existé auparavant.
On peut donc dire que l'annonce de l'Exhibitor's Trade Review du 24 janvier 1925 (voir ci-dessus) ne survendait pas ce film. La valeur dramatique (bien que tardive) est réelle, et la production bel et bien unique en superposant romance, contexte historique, drame et superstition.
Certes on peut parler de film de loup-garou mais je pense que c'est un tort que de le classer en épouvante, comme il l'est toujours, parce qu'y est évoqué la figure fantastique du loup-garou.
Personnellement, je le trouve plus proche du drame psychologique et du western.
George Chesboro et Bruce M. Mitchell Wolfblood : A Tale of the Forest (1925) [1h08 N&B - Muet - VOST VF sur 👉 notre chaîne YouTube]
Crédits images & textes ©2022 Erwelyn - Ne pas reproduire sans autorisation
Commenter cet article