8 Novembre 2019
C'est en 2014 que l'on voit débarquer dans les rayonnages des librairies, une bande-dessinée particulièrement rafraichissante, légère, pleine d'action et de surcroit extrêmement belle et originale dans ses illustrations. Si on en reparle aujourd'hui, c'est qu'une suite vient enfin de paraître, cinq ans plus tard, après moult difficultés mais beaucoup de volonté de la part des auteurs.
En résumé
L'histoire se passe en 1973. Paloma Crescendo, une espionne à la solde du Global Italian Service - une agence italienne dont l'ambition, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, était de rassembler le savoir et les compétences de l'homme pour éviter de reproduire les erreurs de l'Histoire - se voit confier une mission qui la conduira jusqu'à Istanbul, Antioche et Venise sur les traces d'Hipathie d'Alexandrie (personnage réel : femme de sciences grecque, assassinée en 415). Néanmoins, suite au changement de direction, Paloma trouve ses missions sans grand intérêt. Parallèlement, on apprend qu'elle est aussi la fille d'un des fondateurs du GIS, un inventeur, aujourd'hui décédé, mais dont elle a hérité de la fortune et des inventions.
Paloma se retrouve ainsi, entre missions désuètes et menace planétaire, à endosser aussi bien la tenue sportive d'une Lara Croft, que celle, très sexy, d'une Cate Archer (toutes deux héroïnes de jeux vidéo). Et de voyager encore par la suite, entre l'Antarctique, le Brésil et Cap Kennedy.
Ce personnage impulsif, indépendant, aux répliques ironiques, amatrice de café - pas italienne pour rien - évolue dans un décor hyper soigné que l'on doit à Ancestral Z (Z comme les films qu'il affectionne) le dessinateur belge de la célèbre BD : Dofus (adapté du jeu vidéo du même nom) et Mojo, qui développe ici un univers graphique très inspiré des architectures et des designs d'intérieur à mi-chemin des années 50 et 70. On entrevoit du Corbusier, on distingue des tables basses typiques des années 50 (triangulaire à trois pieds), un téléviseur rouge et rond, hyper vintage... Tous ces petits détails à zieuter case après case reproduisent l'ambiance rétro avec délice. À cela s'ajoutent les décors extérieurs, les monuments, qui nous font voyager à travers le monde, stylisés avec le même soin.
Les couvertures sont déjà très accrocheuses, mais quand on ouvre les BD, sans même savoir à quelle sauce on va être mangé, c'est avant tout, ce trait, cette couleur, ces perspectives, la géométrie qui captent l'attention.
En se plongeant dans l'histoire, on est ensuite transporté au côté de Paloma dans sa splendide Ferrari Modulo (si Wikipédia vous dit que le propriétaire de cet unique prototype est le collectionneur américain James Glickenhaus, c'est faux) dans une aventure aux multiples références.
On a déjà noté les jeux vidéo, mais le cinéma n'est pas en reste de clins d’œil. Quant aux différents chapitres, ils sont marqués par de magnifiques pleines pages qui rappellent autant de fausses affiches de cinéma, que de couvertures de littérature populaire. Il y a clairement une inspiration sans frontière.
Enfin, il est appréciable, dans une BD distrayante, qu'il y soit distillés de-ci de-là quelques repères historiques qui donnent un peu de matière supplémentaire. 1973 est une année qui a connu quelques évènements notables : la guerre du Vietnam, la grande éclipse totale du 20 juin (la prochaine n'aura lieu qu'au 22e siècle) qui fut suivi par un vol légendaire du Concorde avec à son bord une équipe de scientifiques qui firent plusieurs observations importantes, présidence de Georges Pompidou, le lancement de la fusée Saturn IB, le 28 juillet de Cap Kennedy, qui emportaient trois astronautes vers la station spatiale Skylab afin de démontrer la possibilité de vivre dans l'espace.
Ancestral Z et Mojo tenaient dès 2014, un projet faramineux. On sentait l'envie de créer tout un univers autour de Paloma qui aurait pu se décliner en une succession de missions, pas forcément dans un ordre chronologique, cela aurait été d'ailleurs très sympa, mais qui aurait pu dévoiler de plus en plus l'héroïne, sa famille, ses amis, ses ennemis. Il y avait là une matière incroyable. D'autant que les suppléments à la fin du tome 1, mieux qu'un artbook de planches inédites, complétaient l'histoire avec des données biographiques et techniques de l'univers de Paloma. Il allait donc de soi, pour le lecteur qui avait dévoré ce premier opus, que Paloma avait de beaux jours devant elle.
Malheureusement, et ce malgré le soutien d'Ankama, leur premier éditeur, la difficulté à produire aujourd'hui une BD est telle que le tome 2 et tout ce qu'il restait à y dire, à y exploiter (et peut-être même dans des albums ultérieurs), fut remis en question. Mais laisser une aventure en suspens à la fois pour les lecteurs et pour les créateurs, est une chose extrêmement frustrante. Le projet finit par aboutir grâce à la persévérance des auteurs et à la plateforme Ulule par laquelle, ils réussirent finalement à obtenir le financement nécessaire pour au moins donner une fin à Paloma. En écoutant les interviews des deux compères, on mesure à quel point il a dû être difficile d'abandonner une profusion d'idées qui ne manquaient pas de fuser entre eux.
En tout cas, tous ceux qui ont aidé à la sortie de ce deuxième tome ont été grandement récompensés. Les goodies offerts par les créateurs sont d'une grande qualité. Marketing irréprochable !
Et au final, cet ultime album n'a rien perdu de son peps. On y retrouve tous les ingrédients du début. Mais s'il était important de revenir sur le pourquoi d'une suite si tardive et les contraintes qui ont dû être celles des auteurs, c'est pour expliquer la perte d'une quinzaine de pages par rapport au premier tome et quelques ellipses scénaristiques qui sont, plus ou moins comblés par les suppléments à la fin de l'album. On notera aussi, et ce n'est qu'une supputation personnelle, qu'à défaut de pouvoir tout dévoiler de Paloma, on la "découvre" beaucoup, vestimentairement parlant. De Cate Archer, elle vire plutôt Ripley en petite culotte.
Ancestral Z & Mojo Tome 1 : Paloma, espionne avant tout ♥♥♥ • Ankama (2014)
Ancestral Z & Mojo Tome 2 : Paloma, espionne malgré tout ♥♥♥ • Auto-édition (2019) Sur le site www.paloma-espionne.space
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