3 Juin 2021
À l'origine de ce qui est devenu une présentation exhaustive des adaptations du roman de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon paru en 1966, l'unique envie de remettre en avant une chronique ancienne, plutôt brève, d'un roman qui m'avait arraché des larmes.
Un roman de science-fiction, mais pour moi, de littérature tout court, sans distinction de genre et que je conseille dès que je le peux. Je connaissais l'existence du film de Ralph Nelson, sorti en 1968, mais je ne l'avais pas vu et c'est dans le but d'enrichir ma chronique que je l'ai donc visionné. Je pensais aborder aussi le téléfilm de David Delrieux, diffusé en 2006 sur France Télévision, seule adaptation que j'avais vue.
Et là, c'est le drame. J'ai découvert pas moins de sept adaptations au total dont une (la première) datant de 1961 (euh mais le livre est sortie en 1966 ???). En effet, publiée sous forme de nouvelle en 1959 puis remodelée en 1966 sous la forme de roman, elle avait déjà intrigué un réalisateur. Ces sept versions comprennent 1 film court, 1 long-métrage, 3 téléfilms, 1 pièce de théâtre (en monologue) et 1 mini-série.
Or, toutes, je dis bien toutes, sont disponibles sur Youtube. J'ai passé deux jours à visionner ces films ; deux jours passés auprès de Charlie et de la souris Algernon. Et alors ? sept fois la même histoire, ce n'est pas un peu lassant ? (je lis l'ironie de vos pensées). Ok, je vais être honnête, je n'en ai vu que cinq : la pièce de théâtre n'a pas été filmée mais a fait l'objet d'une adaptation télévisuelle avec les mêmes dialogues (voir plus bas) ; et je n'ai pas trouvé de VF pour la mini-série japonaise, car non, je ne parle pas japonais.
Mais je me suis pris une claque ! Seule la curiosité me poussait à les enchaîner en me disant que je les verrai en diagonale, comme les histoires que l'on a vues et revues. Sauf que. Chacune de ses versions sont à la fois originale, complémentaire, ambitieuse. Pas une ne se ressemble dans l'intention des réalisateurs.
Rassurez-vous, je n'entre pas ou si peu dans la technique. Simplement, je mets en avant ce qui se distingue de la version précédente en évitant le plus possible les redondances. Vous me direz si j'y suis arrivée ☺ ? Quant à mon avis sur laquelle de ces adaptations est la meilleure, des petits cœurs dans la fiche technique en fin d'article vous le dira, et vous ne serez pas plus avancés (I'm the devil). Cette notation totalement subjective ne tient pas compte seulement de la qualité de la réalisation ou du jeu des acteurs, mais aussi et surtout de l'émotion transmise.
Quatrième de couverture
Algernon est une souris de laboratoire dont le traitement du Pr Nemur et du Dr Strauss vient de décupler l'intelligence. Enhardis par cette réussite, les deux savants tentent alors, avec l'assistance de la psychologue Alice Kinnian, d'appliquer leur découverte à Charlie Gordon, un simple d'esprit de 32 ans, employé dans une boulangerie. C'est bientôt l'extraordinaire éveil de l'intelligence pour le jeune homme. Il découvre un monde dont il avait toujours été exclu, et l'amour qui naît entre Alice et lui achève de le métamorphoser. Mais un jour, les facultés supérieures d'Algernon déclinent. Commence alors pour Charlie le drame atroce d'un homme qui, en pleine conscience, se sent retourner à l'état de bête...
Daniel Keyes (1927-2014) est né à Brooklyn. Après ses études, il entre dans la marine marchande avant de devenir rédacteur d'une revue d'anticipation, puis professeur à l'université de l'Ohio.
Ce roman de Daniel Keyes, a initialement été publié sous forme de nouvelle en 1959 dans The Magazine of Fantasy & Science Fiction remportant le prix Hugo de la meilleure nouvelle en 1960. Elle fut remaniée par l'auteur pour paraître en roman en 1966.
Des fleurs pour Algernon est un des récits de science-fiction les plus touchants, les plus émouvants, les plus bouleversants qu'il m'ait été donné de lire. C'est aussi le roman que je propose systématiquement à ceux et celles qui n'ont jamais lu de science-fiction et qui ont de nombreux à priori sur ce genre.
C'est l'histoire de Charlie, un jeune homme de 32 ans mais à l'âge mental de 6 ans qui veut devenir intelligent. Il accepte d'être le premier cobaye humain d'une expérience ayant donné à une souris, Algernon, des facultés incroyables. Le livre se présente sous la forme d'un journal que Charlie commence quelques temps avant l'opération afin de voir les évolutions considérables entre l'instant où son écriture n'était qu'une suite de mots à peine lisibles jusqu'à l'apogée de son génie. Mais lorsque les facultés d'Algernon commencent à se transformer en une suite de mouvements et de réactions incontrôlés, comme quelqu'un face à sa propre mort, Charlie comprend qu'il ne lui reste que peu de temps avant de retomber dans son arriération.
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1961 : 1 Charlie cherchant la sortie du labyrinthe • 2 Jane Rollins (Mona Freeman), Dr Strauss (Maxwell Shaw), Charlie (Cliff Robertson) • 3 Charlie et Jane
L'adaptation la plus ancienne date de1961. C'est un épisode de la série anthologique TV The United States Still Hours : The Two Worlds of Charly Gordon, réalisé par Fielder Cook. Elle est donc l'adaptation de la nouvelle initiale dans laquelle Charlie (Cliff Robertson) n'apparaît jamais autant handicapé mental que dans le roman. Charlie travaille ici dans une usine au lieu d'une boulangerie dans le roman. On notera aussi que dans le roman, la psychologue de Charlie est Alice Kinian alors que dans cet épisode, elle s'appelle Jane Rollins (interprétée par Mona Freeman) et tient le rôle de professeur.
Ce film court, tourné en noir et blanc, très bon dans son contexte télévisuel de l'époque, est à voir aujourd'hui par curiosité, pour mieux évaluer les versions ultérieures.
1968 : 1 Charly victime des blagues de ces collègues • 2 Rencontre avec Algernon • 3 Idylle entre Charly et Jane
En 1966, Daniel Keyes fait paraître une version remaniée et transformée en roman que Ralph Nelson adapte en 1968 sous le titre Charly (noter l'orthographe différente du prénom). C'est à nouveau Cliff Robertson qui endosse le rôle, et sa propre société de production Robertson & Associates participe à l'aventure. L'interprétation de Robertson lui vaut un Oscar dans la catégorie « Meilleur acteur dans un premier rôle ». Un passage absent de toutes les autres adaptations (Charly partant à moto) est une excellente métaphore de la liberté et de l'expérience de la vie avec toute l'iconographie propres aux années 60/70 : motos, plages, filles, musique, sexe et drogues.
2000 : 1 Charlie accepte l'expérience • 2 Course de labyrinthe avec Algernon • 3 Des fleurs pour Algernon
En 2000, Jeff Bleckner, réalisateur pour la télévision, reprend à son tour cette histoire. Le téléfilm qui en ressort et dans lequel Matthew Modine joue Charlie m'a rapprochée le plus de l'émotion ressentie à la lecture du roman, ce dernier m'ayant arraché des larmes. D'abord parce que son attachement à Algernon est mis plus fortement en avant et parce que la régression de Charlie et la dissolution de sa relation avec Alice (Kelli Williams) y sont décrites plus longuement quand, dans le film, Ralph Nelson préfère l’ellipse.
Cette nouvelle version est aussi actualisée par un environnement technologique moderne : plus de papier crayon pour la course de labyrinthe mais une boule au bout d'une tige qui envoie une légère décharge en cas d'erreur et Charlie s'entraîne sur un jeu vidéo. C'est enfin la première fois que le pourquoi du titre (Des fleurs pour Algernon) est montré à l'écran.
C'est le réalisateur français David Delrieux qui, en 2006 dans une coproduction franco-suisse, surprend avec sa version très sombre, psychologique, et riche en réflexions qui, au lieu de trahir l’œuvre originale, l'enrichit.
Charlie (Julien Boisselier) apparaît comme un homme déficient autant dans sa communication, que dans son état physique (visage déformé par des tics, mauvaise vue, marche claudicante). L'expérience pour lui donner l'intelligence n'est plus une opération mais un traitement médical et est rémunérée. On le paye pour apprendre plus, toujours plus. Si la notion de « cobaye humain » est effleurée dans les versions précédentes, c'est ici qu'elle s'assume totalement.
Mais la vraie réussite est l'évolution de la personnalité de Charlie. Elle tend vers un développement autistique où se confondent génie et troubles comportementaux. La phase de colère, commune à chaque version, est exacerbée par les ressentis antisociaux développés par Charlie : il est conscient que son intelligence est en train de l'éloigner du monde, qu'il a échangé son empathie contre de la condescendance.
Contrairement aux versions précédentes, Charlie est moins victime d'un dysfonctionnement de l'expérience que de son succès qui l'a éloigné de son humanité, lui a ôté toute émotion. Sa régression apparait donc salvatrice.
On notera aussi que le personnage d'Alice (Hélène de Fougerolles) est ici un personnage rencontré par hasard et non dans l'environnement initial de Charlie. Et il n'a pas d'attachement à Algernon sauf vers la fin avec un acte libérateur pour chacun d'entre eux (expliquer ma vision des choses, serait divulgâcher). Quant au labyrinthe, image emblématique de toutes les versions, il est simulé par un agencement de livres déposés au sol. Là aussi le message est très fort. Enfin, si la rencontre avec sa mère qui l'a abandonné était déjà touchante dans le téléfilm de Jeff Bleckner, elle est ici éprouvante.
En 2012, la comédienne Anne Kessler met en scène un monologue écrit par Gérald Sibleyras basé sur Des Fleurs pour Algernon et interprété par Grégory Gadebois. Ce grand acteur et comédien français très introverti par nature s'impose en Charlie sur les planches de la Comédie des Champs-Élysées puis en 2013 au Théâtre du Petit Saint Martin.
« Une heure trente de monologue qui laisse le spectateur cloué sur sa chaise, ventre noué et joues mouillées. » Libération
« Seul, cerné par des projecteurs blafards, Grégory Gadebois assure une performance époustouflante. » L'Express
« Une célébration des cœurs simples et grands. Une bouleversante interprétation par un artiste immense… Grégory Gadebois n'est qu'émotion, intelligence de chaque nuance... » Armelle Héliot, Le Quotidien du médecin
2014 : 1 Charlie passant le test du labyrinthe • 2 De la lecture pour Charlie • 3 Le laboratoire de Charlie
En parallèle de la pièce de théâtre, Yves Angelo porte à l'écran les mêmes dialogues de Gérald Sibleyras avec toujours Grégory Gadebois dans le rôle de Charlie. Nouvelle version télévisuelle et nouvelle approche, clairement la plus fidèle par son ton. En effet, il transforme la forme littéraire du journal de Charlie, opté par Daniel Keyes, en un journal-vidéo, un docu-fiction, qui suit toutes les étapes de progression de Charlie. Pour sortir du huis-clos théâtral, les témoignages sont recueillis in vivo dans divers lieux : sa chambre, à l'hôpital, au bistrot, dans la salle de tests, au restaurant... Le rendu « reportage » est très réussi et la variété des lieux donne du mouvement à ce qui n'aurait été qu'un long monologue (celui de la pièce de théâtre) non compatible avec l'outil cinématographique.
Mais surtout, et c'est peut-être ce qui manquait à toutes les versions antérieures, on est face à un Charlie sans filtre, s'adressant à nous via la caméra comme si nous, spectateurs, étions ses amis ou ses confidents avec tout ce que ses pensées drainent d'humour.
Puis avec le changement de ton (d’intonation) de Charlie, nous devenons témoins : de l'évolution d'une expérience, mais aussi des réflexions sensées et critiques d'un homme de plus en plus intelligent découvrant les failles de l'esprit humain. Il en va de même d'ailleurs sur ses observations de la société en général avec pertinence. La scène d'invitation chez le Dr Strauss est savoureuse.
Et enfin, une mini-série japonaise de 10 épisodes a été produite en 2015. La série est disponible sur YouTube en japonais. De fait, je me suis juste balader dans quelques épisodes afin d'en apprécier l'esthétique et le respect de la trame d'origine. Pas assez pour en faire l'analyse.
À droite : Cliff Robertson, Daniel Keyes et une souris blanche, sur le tournage de Charly ©Ohio University, 1968
Pour clore ce dossier, les plus curieux d'entre vous pourrons lire la genèse du texte dans l'autobiographie de Daniel Keyes, Algernon, Charlie et moi, trajectoire d'un écrivain (Algernon, Charlie and I, a writer's journey) parue en 1999.
Comme je l'ai évoqué plus haut, Flowers for Algernon fut d'abord une nouvelle et cette nouvelle a toute une histoire. Daniel Keyes livre le parcours complexe qu'effectue l'esprit entre la simple idée et le résultat plusieurs années plus tard. Même si vous n'avez pas lu le récit dont il est question, vous découvrirez à la fois l'auteur et l’œuvre. Keyes y parle de l'inspiration, de la façon dont une idée devient un concept, comment ce concept peut être mis à mal et surtout comment sa propre vie, son expérience, ses souvenirs jusque dans sa petite enfance peuvent venir enrichir le récit. Et enfin comment un texte arrive vraiment à maturité.
C'est l'histoire d'une aventure humaine et littéraire pleine d'anecdotes, à la lecture fluide, agréable et parfois drôle. C'est également, tout un univers, celui de l'édition et par extension des droits d'auteurs. À sa lecture, le roman m'a tiré des larmes et à la lecture de la nouvelle originelle, présente à la fin de l'ouvrage, j'ai ressenti encore cette émotion première qui fait que cela restera à jamais une œuvre marquante.
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Des Fleurs pour Algernon | Flowers for Algernon | Daniel Keyes | 1966
Algernon est une souris de laboratoire dont le traitement du Pr Nemur et du Dr Strauss vient de décupler l'intelligence. Enhardis par cette réussite, les deux savants tentent alors, avec ...
• Daniel Keyes Des fleurs pour Algernon ♥♥♥ (Flowers for Algernon, 1966) • J'ai Lu
🏆1960 Hugo (pour la nouvelle initiale)
🏆1966 Nebula
• Daniel Keyes Algernon, Charlie et moi, trajectoire d'un écrivain ♥♥♥ (Algernon, Charlie and I, a writer's journey, 1999) • J'ai Lu Nouveaux Millénaires
• Fielder Cook The Two Worlds of Charly Gordon ♥♥ (Dans : The United States Still Hours, 1961) avec Cliff Robertson (Charly) Mona Freeman (Jane Rollins) Maxwell Shaw (Dr Strauss) [N&B - 55mn]
• Ralph Nelson Charly ♥♥♥ (1968) avec Cliff Robertson (Charly) Claire Bloom (Alice Kinian) Lilia Skala (Dr Strauss) [Couleur - 1h43]
🏆1969 Oscar du meilleur acteur
• Jeff Bleckner Flowers for Algernon ♥♥♥ (Téléfilm américain, 2000) avec Matthew Modine (Charly) Kelli Williams (Alice Kinian) Ron Rifkin (Dr Strauss) [1h30]
• David Delrieux Des Fleurs pour Algernon ♥♥♥ (Téléfilm franco-suisse, 2006) avec Julien Boisselier (Charlie) Hélène de Fougerolles (Alice)
• Anne Kessler Des Fleurs pour Algernon (Théâtre, 2012) avec Grégory Gadebois
🏆2013 Meilleur spectacle privé au Palmarès du Théâtre (qui a remplacé cette année-là La Nuit des Molières.
• Yves Angelo Des Fleurs pour Algernon ♥♥♥ (Téléfilm, 2014) avec Grégory Gadebois
• Algernon ni Hanataba wo (Mini-série japonaise, 2015)
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