9 Novembre 2019
Laïka est une chienne.
Elle fut le premier être vivant envoyé dans l'espace.
Une grande victoire pour l'homme.
Un destin extraordinaire et tragique pour l'animal.
Nick Abadzis, auteur britannique de comics, a choisi le format du roman graphique pour nous narrer le destin de Laïka. 200 pages émouvantes qui nous donnent rendez-vous avec l'histoire de la conquête spatiale.
Souvenez-vous. La course aux étoiles avait démarré. C'était à qui enverrait le premier son satellite en orbite : des soviétiques ou des américains. Fin janvier 1956, le Conseil des ministres de l'URSS donne son feu vert pour le développement d'un satellite artificiel et le 4 octobre 1957, Spoutnik est mis en orbite. Mais Khrouchtchev n'entend pas en rester là. Il faut enfoncer le clou et quoi de mieux que le 40e anniversaire de la Révolution d'Octobre pour concrétiser la supériorité communiste. Il ne reste donc qu'un mois pour tenir le pari, mais surtout, il ne faut pas se contenter de reconduire le même exploit, non, il faut un plus, il faut envoyer un être vivant dans l'espace. Ainsi fut scellé le destin de Laïka.
Si Nick Abadzis romance les premiers pas de la petite chienne, d'abord aimée, puis donnée, abandonnée, errante et enfin récupérée par les laboratoires scientifiques de la recherche spatiale, tout le reste est un témoignage poignant de tranches de vie et d'Histoire.
On y croise des figures emblématiques comme Sergeï Pavlovitch Korolev, l'ingénieur en chef du programme spatial soviétique qui, envoyé au goulag quelques années plus tôt après avoir été faussement accusé de trahison, œuvrant dans l'ombre pour se racheter une réputation, parviendra à remplir la mission fixée par Khrouchtchev.
Il y a Oleg Gazenko un des responsables de la mission, spécialiste en biologie spatiale à la fois dévoué aux ambitions du parti mais néanmoins sensible au respect des animaux.
Et Yelena (personnage inventé), la touche d'humanité, le lien entre la science froide et implacable et cette petite chienne, Laïka, soumise à tous les tests inimaginables et retournant chaque soir dans sa cage, de plus en plus petite, pour s'habituer à l’exiguïté de sa future capsule, avec une docilité qui la desservit.
Gazenko continua durant plusieurs années de superviser des missions impliquant des animaux. Mais en 1998, il fit son mea culpa concernant la mort de Laïka.
Le travail avec les animaux est une source de souffrance pour nous tous. Nous les traitons comme des bébés qui ne savent pas parler. Plus le temps passe, plus je suis désolé. Nous n'aurions pas dû le faire. Nous n'avons pas suffisamment appris de la mission pour justifier la mort du chien.
Abadzis évoque aussi le scientifique Anatoli Blagonravov, qui travailla à une coopération internationale dans le cadre de projets spatiaux au plus fort de la guerre froide.
En 1951, il adopta Tsygan, un des premiers chiens à avoir réussi un vol suborbital (évoqué p.99) mais comme une sorte de mantra qui revient inlassablement, on lui prête ces mots de mise en garde : « Ne vous attachez pas aux chiens ».
Or c'est ce qui rend justement la lecture du comics difficile.
Dans ce mélange de politique, d'Histoire, de sciences, des tas de sentiments contradictoires emplissent le cœur du lecteur. On revit une grande aventure humaine, fascinante par la détermination de ces hommes et femmes à dépasser les obstacles techniques et en même temps, ramenée à l'échelle canine, on souffre, on compatit, on se rebelle pour la chienne à qui, au nom de la science, on fait subir le pire des destins. Un aller sans retour. Le temps manquait, évidemment. Un mois, c'était trop peu. Si les missions suivantes qui ont de nouveau utilisé des chiens cosmonautes (et d'autres animaux) prévoyaient le retour des capsules sur Terre, il n'en n'a pas été de même pour Spoutnik 2 et Laïka, malheureusement, était vouée à la mort.
L'enjeu n'était pas uniquement scientifique. Dans ce cas précis, la petite chienne a été sacrifiée au nom de la propagande, ni plus ni moins.
Quelques années plus tard, Oleg Gazenko, à l'instar de Blagonravov, adopta Krasavka (ou Kometka « Petite Comète »), une chienne survivante du vol d'un prototype du « Vostok » en 1960 qui s'était soldé par un échec.
Cette publication, datant de 1959, basée sur des communiqués soviétiques mensongés, est le reflet de ce qui s'écrivait dans l'ensemble de la presse internationale.
Il faudra attendre 2002 pour apprendre officiellement que les soviétiques avaient menti : Laïka n'avait pas survécu plus de quelques heures au stress, à la surchauffe et au confinement mêlés.
Et de découvrir aussi avec effarement que ce laps de temps, trop court, n'aura en définitive rien apporté à la science. Un sacrifice contre lequel le monde entier s'est insurgé à l'époque.
• Koudriavka (« Frisette » en français, nom que l'on retrouve sur la stèle du cimetière des animaux à Villepinte), Joutchka et Limontchik furent des petits noms et surnoms donnés à celle qui fut finalement rebaptisée Laïka (« l'aboyeuse »)
Villepinte : stèle au cimetière des animaux - Moscou : statue située près du complexe de recherche militaire ©wikipedia
Monuments commémoratifs
1958 Villepinte (France) : stèle au cimetière des animaux
1964 Moscou : sur le bas-relief du Monument des Conquérants de l'Espace
2008 Moscou : statue située près du complexe de recherche militaire où Laïka fut entraînée.
2020 ? Montpellier (France) : Philippe Saurel, maire de Montpellier, ville jumelée avec Obninsk, a annoncé en 2017 qu'il y aurait une résidence dans le futur quartier de Cambacérès (vers 2020) près de la nouvelle Gare TGV Sud de France qui porterait le nom de Laïka et qu'une statue à son effigie y trônerait.
Nick Abadzis Laika ♥♥♥ (2007) • Dargaud
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