21 Avril 2020
Quatrième de couverture
Berlin, été 1944. De jeunes femmes sont retrouvées mortes, nues et mutilées, devant des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. Contre toute attente, le SS-Hauptsturmführer Vogler fait appel à Richard Oppenheimer, l'ancien enquêteur star. Pourtant Oppenheimer est juif et donc officiellement interdit d'exercer. Tiraillé entre son quotidien misérable dans une "maison juive" et le confort que lui offre son nouveau statut, Oppenheimer est de plus en plus inquiet. Tous les indices pointent vers un assassin appartenant à l'élite nazie, si Oppenheimer échoue, son destin est scellé. Mais n'est-il pas encore plus dangereux de démasquer le coupable ? Pendant les derniers jours du Reich, les tensions sont à leur comble.
Germania était le nom qu'Adolf Hitler voulait donner à Berlin dans le cadre de son projet fou de restructuration qu'il donna à réaliser à l'architecte Albert Speer et qui aurait fait de la ville la capitale emblématique du Reich. Mais en mai 1944, lorsque démarre le roman, le projet est suspendu. La défaite pointe son nez et Berlin est bombardée par les Alliés. La ville n'est que ruines.
C'est dans ce contexte qu'apparaît Richard Oppenheimer, ancien commissaire de la police criminelle, la Kripo (abr. de Kriminalpolizei). Juif, il a été destitué de ses fonctions, mais voilà que les nazis font appel à lui lorsqu'une femme est retrouvée cruellement mutilée devant un monument aux morts de la Première Guerre mondiale.
L'enquête l'amène à parcourir les différents quartiers de Berlin offrant une double vision de cette Allemagne, celle du peuple en survie au milieu des gravats, et celle d'un régime qui continue à croire à la suprématie du Reich et qui se vautre dans l'illusion du faste et de la luxure. Une occasion aussi de visiter Berlin de ses grands axes aux petites ruelles en cul-de-sac.
On assiste à un pendant de l'Histoire vu de l'intérieur par les allemands, ceux qui ne soutiennent pas les nazis, ceux qui dans l'ombre ont un œil critique voire des velléités de résistance. L'angoisse du lendemain mais aussi l'espoir d'un prochain débarquement des Alliés font partie du quotidien, ainsi que les bombardements et les rafles qui s'accélèrent dans cette période incertaine pour le Reich.
Des femmes enlèvent les décombres dans une rue de Berlin ©phot. ITTENBACH Max - Grand Palais / image BPK Berlin
La psychologie (et n'oublions pas la place de la psychanalyse à cette époque) des personnages est affinée. Oppenheimer, malgré son statut, ne manque pas d'ironie, de causticité, tout en ayant la retenue adéquate quand nécessaire. Sa relation avec le SS Vöhler et le respect qui nait entre les deux hommes, malgré leurs divergences, sont amenés avec justesse avec en arrière plan la crainte et le scepticisme latents.
Un autre personnage fascinant est sa fameuse amie Hilde, féministe, médecin et faiseuse d'anges, totalement anti-nazis, qui cache chez elle une discothèque d’œuvres illicites. Elle nous rappelle qu'entre 1933 et 1945, les nazis qualifiaient de dégénérée toute musique qui ne correspondait pas aux normes de l’art officiel et entreprirent l'éradication de cet « art dégénéré » au nom de la pureté de la race aryenne. Parmi les nombreux compositeurs concernés, ils s'acharnèrent particulièrement sur Meyerbeer, Mendelssohn et Mahler mais aussi sur Kurt Weil (L'Opéra de Quat'sous créé avec Bertold Brecht qui est évoqué dans le roman) dont les partitions sont brûlées.
Pour ajouter au réalisme historique, l'auteur évoque le tueur en série Carl Großmann ; la « Rosenstraße » : manifestations d'épouses allemandes à la suite de l'arrestation de leurs maris et enfants de croyance juive ; les films à l'affiche dans les cinémas (Immensee de Veit Harlan...) ; le « Lebensborn » : l'association pour le développement de la race aryenne, l'incontournable hôtel Adlon et le célèbre Salon de Kitty Schmidt, bordel huppé que les renseignements nazis avait infiltré.
Comme l'écrit l'auteur Harald Gilbers en postface, son souhait était de donner au lecteur la possibilité de vivre l'instant présent sans anticiper l'Histoire, même si lui la connait. Et c'est réussi. Rien d'étonnant à ce que ce roman ait reçu en Allemagne le « Prix Friedrich Glauser » du premier roman policier en 2014, avec une enquête aussi bien ficelée et un décor historique passionnant, très bien documenté mêlant fiction et réalité.
Autres titres de la série Oppenheimer :
• Tome 2 : Les fils d'Odin (Odins Söhne, 2015) Prix Historia du roman policier historique en 2016
• Tome 3 : Derniers jours à Berlin (Endzeit, 2017)
• Tome 4 : La vengeance des cendres (Totenlist, 2018)
Harald Gilbers Germania ♥♥ (Germania, 2013) • 10/18 Grands Détectives
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