21 Juin 2021
Quatrième de couverture
« Mon premier voyage après l'accident me ramena au lieu même où il s'était produit. Sous la coupole, dans la lumière des champignons, les débris de chair de mon maître mettaient leurs taches sombres sur l'or roux de la chevelure de la tête coupée. L'expression de celle-ci n'avait pas changé. Les yeux clos, les lèvres enfin calmées esquissaient un sourire de paix totale. »
Nous sommes en 1942, en pleine occupation. Saint-Menoux, mathématicien, fait la connaissance de Noël Essaillon, un estropié physicien et chimiste, inventeur d'une substance, la noëlite, qui lui permet de voyager dans le temps. Deux ans plus tard, il a perfectionné son invention. Une combinaison verte, imbibée de noëlite 3, permet de voyager sans encombre du passé à l'avenir. Saint-Menoux, plus valide que l'inventeur, parcourt ainsi le temps. De retour d'un futur très, très lointain où l'homme a évolué vers une forme inattendue, il décide de se rendre en 1890. Mais ses interactions semblent avoir des conséquences. Pour en être certain, il lui faudra vivre une expérience ultime pour en avoir le cœur net.
S'il est une invention littéraire qui soit tombée dans le domaine public, c'est bel et bien La machine à explorer le temps d'H.G. Wells. Combien de suites directes, de clins d’œil, de références, d'adaptations cinématographiques auront suivi la parution de ce chef-d’œuvre paru en 1895.
Barjavel se réapproprie donc lui aussi le thème de Wells. N'hésitant pas aller beaucoup plus loin que son confrère anglais. Il insère dans son œuvre un semblant de « crossover » puisqu'il amène son héros jusqu'à la date des évènements qu'il décrit dans un autre roman écrit peu de temps plus tôt Ravage. Ce roman qui mettait en scène la disparition soudaine de l'électricité, propulsait l'humanité sur une voie nouvelle. Le futur très lointain que visite plus tard encore Saint-Menoux découle directement de cette date fortuite. Une humanité réduite à des états fonctionnels telle une gigantesque termitière.
Il aborde aussi un thème nouveau, bien qu'aujourd'hui totalement indissociable du voyage dans le temps : le paradoxe temporel (et plus particulièrement le paradoxe du grand-père), voire la boucle temporelle (accentuée par une réflexion que l'auteur rajoutera en 1958 à la fin de son roman). Mais aussi, la légitimité d'interagir ou pas avec les éléments du passé et la part du destin, un destin qui somme toute pourrait paraître immuable.
Il est évident que chaque œuvre traitant de ces sujets, oblige le lecteur à une torture intellectuelle. Tout ce qui semble cohérent, ne l'ai pas tout à fait et cette notion de paradoxe est sans doute la chose la plus intrigante qu'il soit.
Au travers du Voyageur imprudent, nous avons aussi un témoignage du temps présent. L'Occupation y est décrite avec son lot de marché noir et de tickets de rationnement. Ces derniers d'ailleurs, voyageront aussi dans le temps pour donner une scénette rigolote.
Enfin, on pourrait assez bien rattacher ce roman à un autre thème de la science-fiction : celui du Savant fou. Certes, on peut affirmer que tous les scientifiques ont quelque folie à expérimenter leurs inventions, mais il y a néanmoins des seuils que l'éthique empêche de dépasser. Or, on se rend vite compte que le vieil Essaillon et plus tard Saint-Menoux n'hésitent pas à tester leur invention au péril d'autrui. Au nom de la science, tous les pires moyens trouvent excuse.
Barjavel en creusant ainsi ce que Wells avait déjà mis en place signe évidemment une œuvre majeure, incontournable dont beaucoup pourraient se réclamer autant que de Wells. Un bel héritage littéraire et une belle initiation à la science-fiction.
Jean-Marc Thibault (Noël Essaillon) • Anne Caudry (Annette Essaillon) • Thierry Lhermitte (Saint-Menoux)
Pierre Tchernia a adapté en 1982 ce roman en téléfilm avec Thierry Lhermitte, Jean-Marc Thibault et Anne Caudry. 👉 Visible sur Youtube
Vu à la télévision à l'époque et fortement marquée par ce récit, ce n'est que bien plus tard que j'ai lu le roman, qui m'a donné aussi envie de revoir ce téléfilm. C'est ma propre boucle temporelle ☺. C'est un film de bonne facture qui n'a pas trop vieilli. Certes c'est film à l'ancienne : peu de décors différents, aucune musique de fond, qui donne l'impression parfois d'une représentation théâtrale et pourtant ça fonctionne.
Les décors futuristes sont minimalistes mais bien pensés : comme l'action se passe en 1943 mais filmé en 1981, il suffit d'insérer de vraies images des années 80. Pour le futur plus lointain, c'est kitch, c'est vrai, mais j'ai trouvé un clin d’œil à La planète des singes. Quand Charlton Heston découvre la tête de la statue de la liberté, Thierry Lhermitte (Saint-Menoux) et Jean-Marc Thibaut (Noël Essaillon), eux, découvrent une des célèbres gargouilles de Notre-Dame permettant ainsi d'identifier les ruines environnantes. Quelques secondes plus tard, un belle image du Sacré-Cœur dévasté. J'avoue qu'une remasterisation de ce téléfilm serait appréciable.
Très jolie musique de Gérard Calvi.
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Le Voyageur imprudent | René Barjavel | 1944
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https://www.legaliondesetoiles.com/Le-Voyageur-imprudent--Rene-Barjavel--1944_a4685.html
René Barjavel Le voyageur imprudent • Folio
Crédits images, textes ©2015-2021 Erwelyn - Article publié sur l'ancien blog de la librairie Soleil Vert en décembre 2015 - Ne pas reproduire sans autorisation
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