17 Septembre 2019
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La Bibliothèque Allemande des Livres Brûlés (Die Freiheitsbibliothek)
En Allemagne, le 10 mai 1933, des milliers de livres jugés anti-allemands brûlent partout en Allemagne.Sur une idée de l'écrivain Alfred Kantorowicz, et sous...
C’est en 1933, sous le 3ème Reich qu’eurent lieu de terribles manifestations visant les écrivains juifs, pacifistes ou marxistes. D’avril à mai, des étudiants nationaux-socialistes pillèrent librairies et bibliothèques et le 10 mai 1933 des autodafés furent le point culminant de cette propagande. Des milliers de livres jugés anti-allemands brûlèrent partout en Allemagne. À Berlin, c’est devant l’Opéra que le bûcher fut dressé. À la fin de la soirée, les livres de quatre-vingt-quatorze auteurs furent réduits en cendres. Parmi eux : Erich Kästner, Heinrich Heine, Karl Marx, Kurt Tucholsky, Sigmund Freud ou encore Alfred Kantorowicz. Ce dernier, comme beaucoup d’autres, décida de s’exiler. On pense que c’est lui, de passage en France, qui lança l’idée de créer à Paris une bibliothèque qui rassemblerait tous les écrits allemands interdits et brûlés sous le IIIe Reich.
En janvier 1934, une réception eut lieu à Paris, à l'occasion de laquelle le Comité d'initiative pour la création d'une Bibliothèque allemande des livres brûlés sous la présidence de l'écrivain français Romain Rolland fut constitué sous les auspices de messieurs André Gide, Lion Feuchtwanger, professeur Lévy-Bruhl, Heinrich Mann et H.G. Wells.
Durant les semaines qui suivirent, les intellectuels germanophones en exil en France et dans le monde apportèrent leurs contributions à la bibliothèque.
Inaugurée le jeudi 10 mai 1934, date anniversaire des terribles autodafés allemands, la Deutsche Freiheitsbibliothek (La bibliothèque libre allemande, plus communément appelée en France « La Bibliothèque allemande des livres brûlés ») se situait dans le 13ème arrondissement dans le pavillon 17 du 65 boulevard Arago, cité d'ateliers d'artistes plus connue sous le doux nom de Cité fleurie.
La Cité Fleurie (Paris 13e) - Plaque commémorative - Rare photo de l'inauguration prise par le photographe allemand Josef Breitenbach. On y voit Egon Erwin Kirsch parler aux invités avec en arrière-plan un portrait de Thätmann et sur le côté des empilements de documents (Cliquez pour agrandir)
De nombreux écrivains, journalistes, professeurs et artistes allemands et français s'étaient déplacés.
Plusieurs discours lors de cette cérémonie d'ouverture illustrèrent les intentions des fondateurs et les opinions des visiteurs externes. Les principaux orateurs étaient les écrivains Edmond Fleg, Alfred Kerr, Egon Erwin Kisch, Henri-René Lenormand et Alfred Kantorowicz. Ils expliquèrent le but révolutionnaire de la Bibliothèque dans sa lutte spirituelle. Elle avait pour tâche de rassembler tous les livres et documents susceptibles de contribuer à la lutte contre le national-socialisme. Ces publications contribueraient largement au travail antifasciste des émigrants germanophones.
La Bibliothèque allemande des livres brûlés devrait comprendre :
Elle organiserait aussi de nombreuses expositions et deviendrait à compter de ce jour en quelque sorte la dépositaire de la Mémoire en commémorant chaque 10 mai le « jour des livres brûlés ». Le projet était qu’à terme, la bibliothèque soit transférée à Berlin. Ce qui malheureusement n’arriva jamais.
Durant les années qui suivirent, la collection de la Bibliothèque allemande atteignit environ 20 000 livres - dont 11 000 (13 000, selon les sources ☺) déjà présents pour l'inauguration - ainsi que des centaines de classeurs contenant des articles de journaux et d'autres documents. Le travail principal fut réalisé par le journaliste Max Schröder. C'étaient tous des livres qui avaient été brûlés, interdits ou censurés en Allemagne. Auxquels s’ajoutaient tous les documents (coupures de presse, tracts, pamphlets etc.) déjà rassemblés par les archives antifascistes internationales qui occupaient les lieux avant l'installation de la bibliothèque boulevard Arago. Elles avaient été rassemblées par le « Comité mondial contre la guerre et le fascisme » créé en 1933 par Henri Barbusse et Paul Langevin. D’ailleurs, en juin 1934, les deux entités avaient décidé de fusionner.
La coopération avec le public était une activité importante qui passait par l’organisation régulière d’expositions, de débats ou par la participation à des évènements extérieurs comme le « Premier Congrès international des écrivains pour la défense de la culture » qui se déroula à Paris en 1935.
En 1936, en réaction à l'exposition nationale-socialiste « L'Office universitaire allemand en France », inaugurée par le comte Welezek, ambassadeur du Reich, qui mettait en avant les publications de l'Allemagne hitlérienne (publications choisies avec soins afin de camouffler leur vrais visages pleins de haine et de mépris à l'encontre d'une France qu'Hitler jugeait trop négrifiée), la Freiheitsbibliothek lui opposa en novembre de la même année « le Livre allemand libre ». Mais c’est en 1937, en parallèle de l’Exposition Universelle à Paris, qu’elle entreprit son exposition la plus importante « Le livre allemand à Paris 1837-1937 ».
Quelques manifestations identifiées grâce aux coupures de presse :
Et chaque 10 mai, bien sûr, la « Journée du livre brûlé » se déroulait sous forme de rassemblements, de lectures, de discussions, récitations et soirées à thème.
Durant son existence la bibliothèque imprimait régulièrement des brochures comme celle contenant les contributions des partisans de la création d’un Front populaire allemand en 1936. Antwort an Viele, publié en 1938 par le président Heinrich Mann contenait ses réponses à de nombreuses lettres adressées à lui.
Le 27 octobre 1939, en vertu de l'art. 2 du décret-loi du 26 septembre 1939 prononçant la dissolution des organismes communistes (et du Parti communiste, le SFCI), la Bibliothèque fut mise sous séquestre aux côtés de dix-sept autres groupements par le président du tribunal civil de la Seine, M. Maillefaud qui nomma M. Moulin administrateur séquestre.
Alfred Kantorowicz, Lion Feuchtwanger et bien d'autres ressortissants allemands, bien qu'opposés au régime d'Hitler, sont envoyés aux Milles, un camp de concentration français.
On ne sait rien du sort réservé aux fonds littéraire et documentaire. Il se pourrait qu'elle est été détruite sous l'occupation allemande.
Il n'existe plus aujourd'hui de collection complète des ouvrages interdits. Toutefois, à la fin de la guerre, Alfred Kantorowicz et Arthur Drews publièrent en 1947 une anthologie à la mémoire de cette Bibliothèque intitulée Verboten und verbrannt (disponible en .PDF en suivant le lien - Attention : texte non traduit de langue allemande)
Dans leur préface, ils notaient qu'« il ne s'agissait pas d'actes spontanés commis par une foule ignorante, mais d'une entreprise mûrement réfléchie et soigneusement organisée au nom de la raison d'état national-socialiste. De même que l'incendie du Reichstag, le 28 février 1933, allumait le phare de la terreur contre les opposants au fascisme, que le boycott des juifs, le 1er avril 1933, constituait le premier acte des pogroms, que la dissolution et le pillage des syndicats, le 2 mai 1933, sonnait la déclaration de l'oppression de la société, de même les autodafés du 10 mai 1933 furent-ils les prémisses visibles de l'aliénation et du retour à la barbarie de l'Allemagne, avec l'aide de l'administration et le recours à des méthodes terroristes. »
Quelques personnalités :
Idée fondatrice (vraisemblablement) : Alfred Kantorowicz
Président : Heinrich Mann
Constitution de la bibliothèque (surtout entre 1934 et 1935) : Max Schröder
Membres du comité d'initiative : Georg Bernhard, Lion Feuchtwanger, Gaston Gallimard, André Gide, John Burdon Sanderson Haldane, Harold Laski, Henri Lévy-Bruhl, Heinrich Mann, Frans Masereel, Rudolf Olden, Theodor Plievier, Romain Rolland, Joseph Roth, Anna Seghers, Henry Wickham Steed, Ernst Toller, H.G. Wells
Sources : Wikipedia, Gallica : plusieurs coupures de journaux d'époque : l'Oeuvre, le Journal, le Petit Journal, l'Humanité, Paris-Midi, le Peuple, le Populaire, Marianne, l'Univers israélite
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