18 Avril 2020
Il était une fois un olivier. Mais pas n'importe lequel, l'olivier de Platon.
Il était planté sur la Voie Sacrée (Ierá Odós) entre Athènes et Eleusis, en bordure du lieu-dit Académie (Akademia) que le philosophe grec acquit pour y construire son école philosophique et qui possédait une belle oliveraie - qui aurait été antérieurement dédiée à Athéna, la déesse de la Sagesse. On dit que cet arbre faisait partie des douze oliviers qui marquaient les entrées de la propriété. Platon aimait profiter de son ombrage et y débattre avec ses disciples. Nous sommes aux environs de 387 av. JC.
On trouve peu de représentations de Platon sous son olivier. La plus ancienne est une mosaïque retrouvée à Pompéi qui daterait du 1er siècle ap. JC. Puis, seulement au 19ème siècle, Jean Delville (1867-1953) peignit le philosophe entouré de ses élèves sous l'arbre. Plus récemment, Laurent Bouhy en fait une illustration dans la BD Les voyages d'Alix à Athènes (2001).
(Cliquez pour agrandir) L'école de Platon (Jean Delville, 1898, Musée d'Orsay, Paris) ; L'Académie de Platon (mosaïque retrouvée à Pompéi, 1er siècle, Musée archéologique, Naples) ; Les voyages d'Alix : Athènes (2001)
Atteignant 7,40m de circonférence, il parvint bon an, mal an, à traverser le temps alors que les ruines de l'Académie de Platon n'étaient déjà plus visibles et les terres plus entretenues. Certaines parcelles furent vendues et des maisons, des fermes commencèrent à jalonner la voie.
Au 19ème siècle, les guerres de l'insurrection contre l'Empire Ottoman l'endommagèrent considérablement mais il résista. En 1857, dans un récit de voyage d'Adelaide Susan hall, Two women abroad, elle décrit l'olivier ainsi : « Toute l'écorce est partie et seulement quelques branches battues par le temps montrent des signes de vie. »
Il fut succinctement évoqué en 1895 dans le Christian Guide, un guide de voyage qui annonce que : « ... on passe devant l'olivier de Platon, qui, s'il n'a jamais connu l'époque de Platon, il n'en est pas moins un très vieil arbre. »
M. Vancacas, à droite, posant fièrement près de l'olivier de Platon @Caclamanos (publiée dans l'Illustration du 1er janvier 1910)
En 1908, il fit parler de lui dans la presse française et étrangère de façon inattendue. Il se trouvait désormais sur la propriété d'un dénommé Vancacas. Ce dernier s'appuyant sur le témoignage du naturaliste grec Milirakis qui attesta du grand âge de l'arbre et de M. Cambouroglous, conservateur de la Bibliothèque Nationale d'Athènes qui confirma l'existence de la « légende » de l'olivier de Platon, ne douta plus d'être en présence d'un olivier deux fois millénaires et donc contemporain du penseur.
Afin d'honorer une récolte particulièrement abondante cette année-là, M. Vancacas ne trouva rien de plus magnifique que de partager ses olives platoniciennes entre les grands chefs d'État. Le roi de Grèce, Georges 1er en fut très touché, de même que Roosevelt. Notre président, M. Fallières reçut aussi son présent.
La presse française relaya néanmoins que les olives du philosophe n'arrivèrent pas jusqu'au roi Édouard VIII ni jusqu'à l'empereur Guillaume. On « apprit au naïf envoyeur que ces souverains ne reçoivent pas de cadeaux ».
C'est peut-être de cette anecdote, que le vieil olivier tira un peu de gloire internationale. Il n'était plus seulement le sujet d'une transmission orale locale mais devenait aussi un symbole fort.
Aussi, en 1928, M. Isaakides, délégué du Gouvernement Hellénique, conclut-il ainsi son discours de clôture du 9ème Congrès international d'Oléiculture de Tunis :
[Je n'ai trouvé aucune trace de ce 10ème congrès prévu en 1930 à Athènes, peut-être n'a-t-il pas eu lieu].
Mais ce n'est qu'en 1931, lorsque les ruines de l'Académie de Platon furent retrouvées à proximité que l'on officialisa le nom d'« olivier de Platon ».
Il devint alors une halte obligée. On s'y photographiait comme devant tout au autre monument patrimonial comme le montre cette photo d'un groupe de femmes mondaines publiée dans le numéro de Janvier 1933 du magazine Vogue.
Madame Chiesa, Mrs Crosby, la Marquise de Jaucourt et Miss Peabody sur l'olivier de Platon ©Vogue1933
En 1951, le spécialiste P.T. Anagnostopoulos précise dans son livre Les origines de l'olive (I Katagogi tis Elaias) que l'olivier de Platon appartient à l'espèce Throumbolia Aegaiou qui a la particularité de produire des olives qui peuvent être consommées sous leur forme naturelle directement de l'arbre sans aucun traitement. Ces olives sont toujours collectées et commercialisées de nos jours en Grèce et sont connues des consommateurs sous le nom de « Thrumbes ».
L'olivier de Platon vers 1970 ; Le bus ayant heurté l'olivier en 1976 ; Le tronc mort exposé à l'Université agricole d'Athènes (poids : +600kg ; taille : 1,70m)
Le 7 octobre 1976, un bus percuta et fractura le tronc dont une partie, totalement détachée, fut transférée à l'Université agricole d'Athènes où elle est exposée depuis. [L'histoire ne nous dit rien sur le chauffeur]
Après un an et un minutieux traitement, l'arbre que l'on pensait mort commença à montrer les premiers signes de retour à la vie. Du moins, c'est ainsi que sont présentées les choses. Et comme le disait à l'époque Elizabeth Spathari du Service archéologique grec, il faudra des années avant que l'olivier retrouve sa forme d'antan. En attendant, une barrière métallique avait été posée autour de l'arbre afin d'éviter un nouveau drame. (Source : Harald-Tribune du 9 oct. 1977)
L'urbanisation
Bien que l'urbanisation aux sorties d'Athènes démarra dès 1945, on remarque que jusqu'en 1976, les photos montrent un arrière-plan que l'on devine encore peu bétonné (ferme ou maison de ville). En faisant un bon vers les années 2000, le choc est saisissant. L'urbanisation amplifiée de l'ancienne Voie Sacrée fait de la Ierá Odós, une véritable nationale où se succèdent concessionnaires auto et enseignes diverses de bricolage et d'habitat.
Désormais réduit à peu de chose, coincé entre une artère routière bruyante et le béton des magasins, le bel olivier n'a plus que ses feuilles pour pleurer sa grandeur passée quand il marquait l'ouverture de la magnifique oliveraie de l'Académie.
... ou comment les journalistes s'emballent sur la base de la rumeur
Voici comment les faits furent partagés (copiés-collés) par les journaux grecs et relayés par la presse internationale (encore de nos jours, pour beaucoup de sites internet qui n'ont pas été mis à jour), avec parfois quelques détails supplémentaires me permettant de vous en raconter une version quasi exhaustive dans la forme et dans l'esprit :
À l'hiver 2013, au début de janvier, après quatre ans d'austérité et une hausse de 450% sur le mazout, la population grecque n'a plus les moyens de se chauffer. Alors il faut s’accommoder de ce qu'on peut brûler : carton, bois, meubles et l'on dit à Athènes que le ciel était noir de fumée. On alla alors déterrer les restes du tronc et les dernières racines de l'olivier de Platon, celui même que d'aucuns associaient aussi à celui qu'Athéna offrit à la ville et que ses habitants acceptèrent pour ce qu'il allait leur apporter de bois, d'huile et de nourriture. [Ils ne croyaient pas si bien anticiper.] Cela ne dut pas être affaire facile. La police déclara qu'au moins deux personnes avaient abattu le célèbre arbre parce qu'il était trop massif et lourd. On estime effectivement que la partie volée devait peser entre 400 et 500 kg. Certains habitants de la région auraient déclaré que des sans-abri avaient coupé l'arbre, tandis que d'autres allèguent qu'un groupe de gitans l'avait fait. [Même en temps de crise, l'homme peut être petit]
Or tout ceci (indépendamment du contexte de crise) n'était qu'une rumeur, devenue légende urbaine, celle d'un arbre mythique, vieux de 2500 ans, sacrifié à la misère humaine comme en témoigne cette magnifique poésie de Philippe Thivet. La symbolique est forte mais fausse et elle s'est quand même propagée.
Alors le 21 janvier 2013, la Direction générale des antiquités et du patrimoine culturel d'Athènes publia un démenti qui n'incita pas pour autant les médias numériques à mettre à jour leurs articles erronés :
L'arbre n'a pas été volé pour servir de bois de chauffage, comme cela a été rapporté la semaine dernière par les médias locaux et internationaux.
À sa place, un nouvel arbre avait été planté par l'Université agricole d'Athènes. Cet arbre avait trois troncs de 30 cm de diamètre chacun. L'un d'eux a été enlevé le 6 janvier 2013 car il était mort. Les deux autres restent intacts.
En fait, ce qui n'est pas clair, c'est le moment où ce nouvel arbre a été planté entre 1976 et 2013. Peut-être était-ce déjà de lui dont on parlait en 1977, préférant laisser l'espoir aux athéniens de croire que le vieil arbre avait réussi à renaître par lui-même de ces cendres.
Il était une fois un olivier. Un olivier anonyme comme on en croise partout en Grèce et les régions du sud. Un olivier sans superbe, coincé dans son écrin de béton, pourtant, s'il pouvait parler, il vous conterait 2500 ans d'histoire.
Mise à jour juin 2024
Coordonnées GPS
♦37.985500665856456, 23.69974293806126
Capture d'écran 2024. L'olivier s'est bien ré-étoffé.
Sources
• À propos des sources, seule L'Illustration de janvier 1910 dont est tirée la photo du propriétaire Vancacas est en ma possession.
• Pour les autres, il est difficile de les relayer puisque qu'il y a beaucoup de copiés-collés des médias entre eux dans ce qui se rapporte à la dernière partie. Les crédits et liens importants sont dans le texte.
• L'Éclair du 25 mars 1908
• République Française du 27 mars 1908
• Wikipédia m'a aidée sur la partie plus ancienne mais le texte est élaboré avec des données disparates chinées également sur les sites ou dans la presse de l'étranger.
J'aurai aimé élucider la date réelle de la plantation du nouvel olivier, si tel est bien le cas. Mais la recherche est rendue difficile même avec de bons traducteurs virtuels par la langue grecque que je ne maîtrise pas. Aussi cet article pourra être enrichi, corrigé à tout moment si nécessaire.
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