📃👽 INVASIONS MARTIENNES RADIOPHONIQUES (2021)

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ÉDITO

C'est en relisant l'article de l'AFP, publié en 2008, et que j'avais partagé sur mon ancien blog, que m'est venue l'idée d'aller un peu plus loin. En effet, il y était stipulé que d'autres mises en scènes inspirées par le scénario d'Orson Welles avaient aussi provoqué des paniques au Chili et en Équateur. Profitant de la mise à jour du premier, je suis donc allée à la pêche pour vous présenter les deux autres transmissions radiophoniques sur des fausses invasions martiennes.

LA GUERRE DES MONDES D'ORSON WELLES (1938)


La dramatisation radiophonique par Orson Welles du roman La guerre des mondes a démontré la capacité des médias à susciter une vague de panique. L'ouvrage de science-fiction du britannique H.G. Wells, qui relate une attaque de martiens en Grande-Bretagne, avait inspiré le scénario du programme diffusé aux États-Unis sur les ondes de CBS le 30 octobre 1938, à la veille d'Halloween.
 

« Mesdames et messieurs. Nous interrompons notre programme musical pour vous faire part d’un bulletin spécial des nouvelles radiophoniques intercontinentales. A 19h30heure de Greenwich, le professeur Farel de l’observatoire de … à Chicago, Illinois, a signalé plusieurs explosions de gaz incandescent produisant à intervalles réguliers à la surface de la planète Mars :
« Il se passe quelque chose une forme arrondie émerge du cratère, il a une bouche en forme de bec, avec de la salive ; ce monstre vivant et frémissant, cette chose, peut à peine bouger ; la chose se dresse à présent et la foule reflue. Seigneur ! Ils prennent feu ! Le champ tout entier est la proie des flammes… Au moins quarante personnes, parmi lesquelles six soldats, sont mortes dans un champ à l’est… »
Mesdames et messieurs, l’heure est grave. Cela peut paraître absolument incroyable, mais les observations scientifiques ainsi que nos propres yeux nous amènent à la conclusion irréfutable que les étranges créatures qui ont atterri dans les champs du New Jersey, ce soir, sont l’avant-garde d’une armée d’invasion venue de la Planète Mars. »

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Dans cette adaptation du cinéaste et de sa troupe du Théâtre Mercury, lancée sur les ondes depuis le siège de CBS à Manhattan, les extraterrestres hostiles atterrissaient dans l’État du New Jersey, tout proche, avant d'attaquer New York à coups de rayons et de gaz. Le scénario de Howard Koch - qui écrivit quatre ans plus tard celui du film Casablanca - était tellement réaliste, accompagné d'interruptions de programme, de bulletins d'informations et d'effets sonores, que des milliers d'auditeurs y crurent. Des habitants du New Jersey quittèrent leurs domiciles pour se protéger contre les gaz des martiens, d'autres inondèrent d'appels téléphoniques la police ou les rédactions des journaux, selon des témoins cités par la presse de l'époque.

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L'ampleur de la panique diffère selon les experts. Selon une étude publiée dix ans plus tard par l'Université de Princeton, plus d'un million de personnes furent affectées d'une façon ou d'une autre. La réaction grégaire fut en tous cas suffisante pour que le New York Times publie un titre à la Une le lendemain : « Des auditeurs paniqués prennent une représentation théâtrale de la guerre pour la réalité ».
Orson Welles avait annoncé au début de l'émission qu'il s'agissait de fiction, mais beaucoup n'avaient pas entendu. D'autre part, le programme mettait en exergue les tensions et les craintes des Américains à la veille de la Deuxième guerre mondiale.
Ce fut aussi une vraie leçon sur le pouvoir des médias.


Pour votre culture populaire, je vous invite aussi à lire notre présentation de l'épisode de la série TV Cold Case, Affaires classées dont l'enquête a pour contexte ce fameux 30 octobre 1938 👇
 

NOUVELLE INVASION AU CHILI (1944)

Annonce dans El Mercurio du 12 de novembre 1944

Annonce dans El Mercurio du 12 de novembre 1944


Le 12 novembre 1944, la radio chilienne Cooperativa Vitalicia s'empara du scénario d'Orson Welles et, avec l’autorisation de la famille du dramaturge Howard Koch, le transposa au Chili.  Elle aussi avisa ses auditeurs, mais ceux qui prenaient l'émission en route ou qui n'avaient pas vu l'annonce publicitaire dans le quotidien El Mercurio, n'en n'eurent pas connaissance :
 

« Invasion de la Terre par Mars ! La célèbre œuvre d’Orson Welles qui a terrorisé 10 millions d’Américains. Il est conseillé aux personnes très impressionnables de ne pas écouter cette émission. »

Et de continuer :

« Nouvelles de dernière minute. On nous a dit que quelque chose ressemblant à une météorite est tombé sur une habitation. Nous allons découvrir de quoi il s’agit. Continuez, en attendant, en écoutant directement de l’Hôtel Carrera notre programme musical. »

Après plusieurs autres flashs inquiétants, un journaliste décrit :

« Nous voyons une colonne de fumée étrange, de couleur plombée et une sphère brillante. Voici le propriétaire de la parcelle, Don Jacinto Neerl. - Don Jacinto, qu’est-ce que c’était ? - J’étais ici avec la patronne, en train de manger, et nous avons entendu un bruit énorme. Quelque chose qui s’est écrasé. Et dans le poulailler, j'ai vu une énorme chose argentée, là-bas, au fond du puits, qui fume. »

Puis, la radio rapporta que des carabiniers, des voisins et des journalistes étaient arrivés sur les lieux. Tout le monde a pu voir le couvercle de cette sphère s’ouvrir, sous les cris des femmes et des enfants.
 
« Une sorte de tuyau est sorti de l’intérieur de la sphère qui brille... Attention, il va nous brûler ! » a alerté le présentateur.  « Nous savons qu’un autre cylindre est tombé à San Fernando. À Curico. À Talca. Nous allons essayer de déterminer quelle est la portée de cela. »

Quelques minutes plus tard, les paroles du (faux) ministre de l’Intérieur ont été entendues. La peur a augmenté.

« Nous sommes victimes d’une invasion extraterrestre. Je demande à la population calme, tranquillité, courage, résignation face à ce qui peut arriver; mais nous ne céderons pas un millimètre dans la défense de notre territoire. »

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Il a encore parlé de 400 carabiniers blessés, des hommes courageux du régiment Tucapel de Temuco prêts à combattre contre ces forces inconnues, et d’autres troupes mobilisées à Arica et Antofagasta. Les scènes d’épouvante se répétaient dans tout le pays ; les téléphones avaient été pris d'assaut ; dans les communes et les secteurs ruraux les gens sont sortis dans les rues pour allumer des barricades, et dans les régions se sont organisés pour venir dans la capitale. À une époque dominée par le pouvoir de la radio, avant l’arrivée de la télévision, le pays était paralysé, plongé dans une panique collective jamais vue auparavant.

Tout comme aux États-Unis, cette émission fit écho au contexte politique chilien. Cela correspondait presque à la déclaration du président radical Juan Antonio Rios (1888-1946) de rompre les relations avec l’Allemagne et le Japon.

Cette invasion présumée coûta la vie à un fonctionnaire du camp de montagne Los Maitenes de la Compagnie Chilienne d’Électricité. Il mourut d’une crise cardiaque, frappé par le réalisme de l’émission, annonça la presse. Radio Cooperativa Vitalicia reçut une amende.
 

DRAMATIQUE MISE EN SCÈNE EN ÉQUATEUR (1949)


La troisième « adaptation » orchestrée par Radio Quito du scénario d'Orson Welles, inspiré de la Guerre des mondes d'H.G. Wells, est à ce jour la plus dramatique.
 

Eduardo Alcaraz (1915-1987) • Leonardo Páez (1912-1991)Eduardo Alcaraz (1915-1987) • Leonardo Páez (1912-1991)

Eduardo Alcaraz (1915-1987) • Leonardo Páez (1912-1991)


Le 12 février 1949 à 21h, comme chaque soir, l’ensemble radio-théâtre de Radio Quito commença sa transmission sous la houlette de Leonardo Páez (1912-1991), écrivain, poète, compositeur, directeur artistique en ce temps de Radio Quito et Eduardo Alcaraz (1915-1987), directeur dramatique de la station. Dans un entretien avec El Dia, Alcaraz a plus tard dit qu’il avait supplié Páez d’annoncer au début de l’émission que ce qui allait suivre n'était qu'une mise en scène. Au lieu de quoi, Páez l'avait congédié.
Cette fois encore, on utilisa tous les appareillages sonores, des bruits, et des effets spéciaux pour donner le plus de réalisme à l’action qui simulait l'invasion martienne en Équateur. L’un des sites d’atterrissage des engins spatiaux était le secteur de Cotocollao, ce qui a incité plusieurs policiers à réquisitionner des véhicules pour se rendre sur les lieux de l’arrivée présumée.

"Nous interrompons ce programme pour vous informer que près de Cotocollao, un vaisseau interplanétaire venant de Mars a atterri. Ils lancent des éclairs qui détruisent tout sur leur passage. Nous continuons à les informer..."

« Une flamme jaillit du miroir et s’adresse aux hommes qui avancent. Il les a rattrapés! Mon Dieu, il les a foudroyés! »

Extrait de l'émission du 12 février 1949 de Radio Quito

À Quito, ce programme provoqua la panique. Quand la station radio s’est rendu compte que le chaos éclatait, elle a dévoilé le canular. Cette tromperie horripila encore plus les auditeurs rassemblés dans la rue. Les gens commençaient à jeter des pierres et du papier brûlé, déclenchant un incendie dans le bâtiment du quotidien local, El Comercio, qui hébergeait le siège de la radio. Les policiers repoussaient les manifestants avec des gaz lacrymogènes, mais ces derniers répondirent à l’assaut de la police par la violence et détruisirent le mobilier du rez-de-chaussée du journal de la capitale.
Selon l’Associated Press, il y avait plus d’une centaine de personnes dans le bâtiment. Certaines s'étaient échappées par la porte de derrière. D’autres avaient cherché refuge dans les étages supérieurs, où certains d’entre eux sautaient du toit pour échapper aux flammes.

Le bâtiment d’El Comercio, hébergeant la radio, est incendié.

Le bâtiment d’El Comercio, hébergeant la radio, est incendié.

Ma sœur et moi avons été réveillés. Les adultes nous ont emmenés dans la rue journal. Le bâtiment était en feu. Nous vivions dans la rue Bolivar, quartier San Roque et les adultes avaient vu les flammes de ce bâtiment. Nous avions respectivement 7 et 5 ans, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Les gens avaient attaqué Radio Quito qui se trouvait dans ce bâtiment.

Témoignage déposé sur Youtube sous l'extrait de l'émission ci-dessus

Les pompiers furent appelés, tandis que pour soutenir la gendarmerie, des unités du Corps motorisé de l’armée, avec des chars, ont été envoyées sur ordre du Ministère de la Défense. Des chars blindés et des soldats de la cavalerie encerclèrent le journal et la place de l’Indépendance.
Ces évènements coûtèrent la vie à de plusieurs personnes (sept selon Leonardo Páez mais le nombre étant variable entre les sources, je préfère rester évasive) et il y eut beaucoup de blessés.

Une dizaine de personnes ont été arrêtées et inculpées cette nuit-là. Eduardo Alcaraz avait fui Quito, mais a été arrêté plus tard dans la ville d’Ambato. Páez, voyant que sa retraite était menacée par une foule en colère et la police, réussit à s'enfuir par les toits. Des amis le cachèrent quelques jours puis lui conseillèrent de régulariser sa situation. Reconnu comme artistiquement non coupable, il fit néanmoins profil bas jusqu’à ce que ses difficultés juridiques soient résolues six ans plus tard, et quitta l’Équateur pour se rendre au Venezuela. Il avait perdu sa petite amie et son neveu dans le chaos créé par son propre programme radiophonique. Ils sont morts dans les émeutes. Il ne retournera jamais en Équateur mais en 1982, il publia un roman Los que siembran viento (Ceux qui sèment le vent - Disponible en espagnol - Non traduit), qui a comme contexte, la fameuse nuit du 12 février 1949.


Conclusion

Ainsi l'émission new-yorkaise de 1938, inspira pour le pire, une fois encore, d'autres radios étrangères. Santiago et Quito ne furent pas les seules villes attaquées par les martiens. Au Portugal et au Mexique, aussi, l'émission d'Orson Welles, fit grincer des dents. Si elles s'avèrent aussi spétaculaires, elles feront peut-être l'objet d'une seconde partie à l'article présent.
Une chose est sûre, Orson Welles profita en 1938 de retombées positives. Deux ans plus tard en 1940, grâce à sa nouvelle notoriété, il écrivit, dirigea, produisit et joua Citizen Kane, qui devait lui valoir un Oscar.


Sources
• AFP 2008
• Santiago (Chili) : Le Tercera, quotidien chilien ; Cooperativa (visuel)
• Quito (Équateur) : El Universo ; Ciencia Ficción en Ecuador ; La Barra Espaciadora
 


Crédits images & textes ©2021 Herveline Vinchon
Ne pas reproduire sans autorisation

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T
Bonjour Erwelyn (et bonne année 2022).<br /> Comme convenu lors de nos échanges d'il y a quelques mois (et avec mes excuses pour le retard), je viens de prendre en compte cet article revu en 2021 pour le Challenge de la planète Mars. <br /> C'est vrai que les émissions chiliennes ou équatoriennes sont infiniment moins célèbres que celles de Welles. Cependant, concernant cette dernière, certaines sources (du XXIe s.) semblent dire que les impacts réels sont été infiniment moindres que ce qu'a rapporté (et amplifié?) la légende d'OW par la suite... cf. article sur Wikipedia consulté ce 03/01/2022) ?<br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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K
C'est très intéressant ! Tu as fait de sacrées recherches, bravo. Merci pour ce bel article instructif.
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E
Merci pour ton intérêt ☺
F
Merci pour cet article tres riche. Je ne savais pas qu'il y avait eue des echos en Amérique latine. Cest fou cest un peu une des premières "fake news" a avoir eu des conséquences dramatique in fine.
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E
Oui, c'est vrai. Merci pour ta lecture.
D
En effet, une preuve supplémentaire du pouvoir des media. Et encore dans ces 3 cas il s'agit d'une émission unique (on peut penser d'ailleurs qu'après avoir perdu sa petite amie dans les émeutes le plaisantin équatorien a fini sa vue rongé de remords...) Quelle horreur.<br /> Mais c'est exactement le même processus quand les radios, tv, journaux rabâchent sans arrêt pendant des années des arguments qui son en fait archi teintés d'idéologie. Bref ... voir avec Chomsky
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E
Dommage que son bouquin ne soit pas traduit. Cela aurait sans doute répondu à quelques questions.