24 Janvier 2020
L’île Saint-Honorat forme avec l'île Sainte-Marguerite les îles de Lérins situées dans la baie de Cannes. Longue d'1,4 km et large de 400 m, elle n'est qu'à 2,9 km de la Croisette.
Elle abrite l'abbaye la plus ancienne des Gaules qui fut fondée vers l'an 410 par Honorat d'Arles qui espérait vivre en ermite sur ce bout de terre couverte de pins, qu'on appelait alors Lerina. L'île avait peut-être accueilli quelque maison romaine de plus ou moins grande envergure (l'archéologie moderne semble l'attester) et on trouva au sud de l'île, près de la Chapelle Sainte-Porcaire, une pierre qui servit de base à un autel votif dédié à Neptune par une femme nommée Veratia Montana.
Autel votif à Neptune ©Archives municipales d'Antibes - Représentation de la légende de Saint-Honorat et des serpents ©Abbaye de Lérins - Carte postale ancienne du puits (vers 1900)
C'est sur cette île que se manifestèrent les trois miracles qu'on attribua à Honorat : il fit fuir les serpents de l'île, y fit surgir une source et une végétation et des arbres fruitiers jusqu'alors absents.
La légende voudrait que les serpents présents sur l'île furent foudroyés à la demande d'Honorat, qui, perché sur un palmier, implora Dieu. Puis il déclencha un cataclysme qui fit monter les eaux. Ces dernières, en se retirant, nettoyèrent l'île des reptiles. Avec le temps plusieurs versions et interprétations ont été données à ces légendes.
Au milieu de cet espèce de cloître est une citerne creusée dans le roc, dont l'eau est très limpide & bonne à boire ; on assure que ce puits n'a jamais plus de trois sceaux d'eau, & quelque quantité qu'on y en puise, il n'y en a jamais moins. Cette singularité, si elle existe, ne surprendra pas les Naturalistes ; elle pourroit étonner les dévots, si on ne les prévenoit pas qu'elle est l'effet d'un miracle opéré par Saint-Honoré, qui, comme un autre Moïse, fit jaillir l'eau d'un rocher ; d'amère & salée que cette eau auroit dû être, elle devint douce & potable.
Rejoint par de nombreux fidèles, le monastère devint une grande communauté monacale, dont la renommée au fil des siècles attira de nombreux moines qui vinrent y étudier. Beaucoup deviendront de grandes figures de la chrétienté.
On a peu de descriptions des bâtiments du monastère originel créé par Saint-Honorat. Ce n'est qu'au XIXe siècle, avant les travaux de transformation de l'abbaye que les architectes de l'époque firent des descriptions très détaillées permettant de retracer au moins depuis la période romane du XIe siècle l'évolution des bâtiments.
Ainsi peut-on dire qu'il existait à l'époque où les travaux du monastère fortifiés étaient engagés (voir plus bas), deux églises : l'église Saint-Honorat que l'on voit encore aujourd'hui mais qui fut totalement reconstruite au XIXe et l'église Sainte-Marie (aujourd'hui Notre-Dame-de-Pitié) transformée en habitation. Ceci est aussi attesté par les cartes anciennes.
À partir du VIIIe siècle, l'île fut régulièrement assaillie par des raids de sarrasins (nom donné aux peuples de confession musulmane). Une de ces premières attaques, en 730, décima la totalité de la population, soit environ cinq cents moines. (Voir plus bas La grotte Saint-Colomban)
Ces attaques puis celles de pirates (1180), de chrétiens génois (1400), d'espagnols (au XVIe et XVIIe) et d'autrichiens (1746) se succédèrent régulièrement jusqu'au XVIIIe siècle, avec des périodes de désertification par la population monastique - massacre ou mise en esclavage - malgré les fortifications établies à partir du XIe. C'est à cette période que sous les directives de l'Abbé Aldebert II, on commença à ériger sur la côte sud le monastère fortifié. En 1327, on y installa un système de signalisation par des feux qui communiquait avec la tour fortifiée du Suquet pour prévenir les raids.
Quand les Espagnols envahirent l'île en 1635, ils ajoutèrent des batteries de canon sur les chapelles de la Trinité, Saint-Sauveur et Saint-Caprais et entamèrent considérablement les bois de pin. Même après la reconquête par la France, faute de moines, l'abbaye fut finalement fermée en 1788.
Île Saint Honorat - Le monastère fortifié croqué par Victor Hugo en 1839 ©Cannes-Archives municipales • La tour de nos jours
À la Révolution française, l'île fut déclarée « bien national » et devint la propriété de l'État. Vendue en 1791 à Honoré Alziary, bourgeois de Saint-Paul-du-Var, elle accueillit sa fille Blanche de Sainval célèbre comédienne éclipsée par ses rivales de la Comédie qui vint se retirer durant une vingtaine d'années dans le monastère fortifié. Ses détracteurs y virent la profanation d'un lieu saint. Pourtant, installée dans les anciennes cellules monastiques, au milieu d'un bâtiment par endroit en ruine, elle vécut bien loin du luxe parisien voire même dans un isolement peu enviable coupée du continent durant la mauvaise saison.
Pendant ce temps, Bonaparte fit construire à chaque extrémité de l'île des fours à rougir les boulets, invention spectaculaire qui, en cas d'attaque à une époque où les navires étaient encore faits de bois, assurait la victoire en incendiant la flotte.
Lorsque Blanche de Sainval quitta le monastère pour remonter sur les planches, plusieurs propriétaires se succédèrent.
Ce n'est qu'en 1859, que l'évêque de Fréjus racheta l'île pour y rétablir une communauté religieuse. Depuis, ce sont des moines cisterciens qui occupent les lieux. En 1893, elle passa aux mains du Père Dom Colomban qui rénova l'abbaye, créa un orphelinat, une imprimerie, une distillerie et tant d'autres choses qui permirent la redynamisation du site.
Durant la Deuxième guerre mondiale, l'abbaye ne souffrit pas de l'occupation. Par contre, de nombreux arbres furent abattus par l'occupant allemand afin de dégager des espaces pour construire deux bunkers : un près de la chapelle de la Trinité, l'autre à mi-chemin du monastère fortifié et de la pointe ouest.
L'île fut classée monument historique en 1941.
Depuis, une vingtaine de moines cisterciens occupent l'abbaye. Ils assurent, en plus de la vie monastique, des activités d'hôtellerie, et de culture de la vigne qui occupe presque huit hectares.
Depuis 1988 - et contre la promesse de préserver le site et son environnement - ils ont acquis le monopole de la liaison maritime entre Cannes et l'île.
Ces sources de revenus essentiellement issues du tourisme ainsi que du financement participatif via les réseaux sociaux leur permettent de mettre en place les travaux d'entretien nécessaires à la préservation du patrimoine.
1778 - [Détail du] plan géométrique des isles de Ste Marguerite et de Saint-Honnorat, de la plage de Cannes, et de celle de Valauris ©Archives municipales de la ville de Cannes
Sur certaines cartes anciennes se trouvent mentionnés les noms de calanques qui servaient de petits ports : la calanque Saint-Pierre au sud, et au nord-ouest : la calanque du Four (à chaux ?), la calanque aux Bœufs et la calanque Saint-Colomban aussi appelée « Grotte Saint-Colomban » sur une autre carte. Elle se situe à l'emplacement ou non loin de l'actuel restaurant de l'île.
Ce qu'il y a de curieux, c'est la Calanque de Saint-Colomban, qui consiste en une caverne au pied de laquelle la mer bat continuellement. C'est en cet endroit que se cachèrent Saint-Éleutère et Saint-Colomban, lorsque les sarrasins massacrèrent les cinq cents Religieux dont nous avons parlé. On ajoute que Saint-Colomban ayant vu monter au Ciel les âmes de ces saints Religieux, en forme d'étoiles brillantes, sortit de cette caverne, et fut associé à leur martyre.
Sources :
• Description des principaux lieux de France T1 : Provence Jacques-Antoine Delaure (1789)
• Archéologie d’une île monastique : Saint-Honorat de Lérins Yann Codou
• Archives municipales de la ville de Cannes
• Les Vestris et les Saintval par Gustave Larroumet dans Le temps du 02 avril 1902
• Journal Nice-Matin
• Abbaye de Lérins (site officiel)
• Notes d'un voyage dans le midi de la France Prosper Mérimée (1835)
• Madame Putiphar Borel Pétrus (1839) L'auteur, héritier français du roman noir anglais, évoque l'île au chapitre 5 du tome 2.
Photos prises en 2008 (cliquez pour agrandir)
Crédits images, textes ©2008-2021 Herveline Vinchon & Dominique Guégan - Toutes les photos estampillées du logo Chroniques Terriennes ont été prises en 2008 lors d'une balade sur l'île Saint-Honorat - Ne pas reproduire sans autorisation.
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