22 Décembre 2020
L'article qui suit a été publié le 23 mai 2007 sur le site PhénixWeb sous mon pseudo Erwelyn, puis repris par le fanzine Présences d'Esprits dans son numéro 55 du printemps 2008 sous mon vrai nom. J'ai décidé de le rendre accessible sur ce blog. Il est à noter qu'Albert Robida n'a pas fait depuis, l'objet de rééditions notables mais il existe maintenant de nombreuses éditions numériques en plus des ouvrages disponibles sur Gallica. Jacques Spitz, lui, n'a bénéficié que d'un ouvrage chez Bragelonne réunissant quelques romans et nouvelles.
Évoquer l’histoire d’un courant ou d’un genre littéraire, c’est s’appuyer sur des jalons incontournables de notre culture, de notre histoire.
C’est faire référence aux auteurs marquants, aux tendances novatrices, aux interactions entre contextes historiques, économiques, personnels et l’imaginaire qui en découle.
En France, on peut identifier les premières œuvres de science-fiction dès le 17e siècle avec Les États et les Empires de la Lune et du Soleil de Cyrano de Bergerac (1657), au 18e siècle avec le Micromégas de Voltaire (1752) ou encore la Découverte Australe par un Homme Volant de Restif de la Bretonne. Mais le 19e siècle sera évidemment la période la plus propice à l’imaginaire scientifique. Ce siècle qui voit apparaître tant d’innovations techniques ne pouvait laisser insensibles certains esprits créatifs. Tel Jules Verne qui écrit en 1865 De la Terre à la Lune. Villiers de l’Îsle Adam nous livre l’Ève Future en 1886, quant à Rosny-Aîné, qui poursuivra son écriture durant les premières années du siècle suivant, rédige Xipétuz.
En abordant le 20e siècle, avec ses deux guerres mondiales, d’autres écrivains poursuivent ce mouvement amorcé par Jules Verne principalement et assoient ce nouveau genre dans une vraie dynamique scientifictionnaire. Que ce soit Maurice Renard avec son très bon Dr Lerne, Gustave le Rouge, Messac ou Barjavel, tous ont contribué à affirmer l’identité de cette nouvelle fiction française.
Et l’après-guerre voit naître toute une génération d’écrivains, plus talentueux les uns que les autres : Wul, Boulle, Klein, Merle, Jeury, Andrevon, Curval, Arnaud, Houssin, Brussolo, Ayerdhal…
Ce bref aperçu, tel qu’il pourrait apparaître dans de nombreux ouvrages généralistes, n’a évidemment pas une vocation d’exhaustivité. Mais c’est sans doute à cause de ce manque de précision, associée à des éditeurs peu enclins à répondre à une demande, économiquement non rentable, que des auteurs, Albert Robida (1848-1926) ou Jacques Spitz (1896-1963), finissent par disparaître, oubliés, condamnés aux caisses poussiéreuses des bouquinistes et autres soldeurs.
Revenons donc d’abord à cette période de la fin du 19e siècle, tellement évocatrice de progrès et d’inventions. Si on sait que Jules Verne n’est donc pas le premier à avoir écrit de la SF, on oublie par contre qu’un de ses contemporains, Albert Robida, est allé aussi très loin dans l’anticipation et l’inventeur du Nautilus fait aujourd’hui beaucoup d’ombre à cet écrivain-caricaturiste-illustrateur qui nous a pourtant offert une œuvre majeure, Le Vingtième Siècle, et bien d’autres écrits très intéressants.
Né à Compiègne en 1848, Albert Robida s’impose très vite dans la presse de l’époque (La Vie parisienne, La Caricature) chroniquant des faits de société de toutes envergures, historiques, politiques, littéraires, mais c’est en 1879 qu’il décide de se mesurer à son contemporain Jules Verne, en écrivant et illustrant une ébouriffante, énorme et copieuse parodie des Voyages Extraordinaires sous le titre non moins à rallonge : Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne.
Désormais, Albert Robida s’attache à des œuvres de bien meilleure qualité anticipatrice que ses prédécesseurs. Posant un véritable regard sur les temps à venir et là où Jules Verne n’extrapolait que des aventures mêlées de sciences, (lesquelles devaient être constamment anéanties à la fin de ses romans), Robida, lui, pose une réelle réflexion sur les progrès techniques de cette fin de siècle. Par la création et l’utilisation quelquefois farfelues d’inventions de son cru - le phono-opéragraphe (baladeur-MP3), téléphonoscope (téléviseur) -, il a le mérite de les rendre toutes fonctionnelles dans son imaginaire, montrant un vrai engouement pour la projection scientifique.
Et c’est ainsi qu’en 1882, il s’attaque à la réalisation du Vingtième Siècle où le lectorat plonge dans un avenir peu amène des années 1950 futures.
Que ce soit dans cette œuvre majeure, dans le reste de sa production ou dans son travail d'illustrateurs pour d'autres auteurs que lui (pensons à La Guerre Infernale de Pierre Giffard), Robida ne cesse d’être obsédé, fasciné par la guerre. L’analyse qu’il tente d’en faire parcourt la totalité de ses écrits imaginaires. Il la trouve si néfaste qu’il se positionnera toujours comme un antimilitariste. Il cherchera en permanence à dénoncer les objectifs de ces conflits profondément économiques, associés, de plus, à une science qu’il condamne moins que le mauvais usage que l’on pourrait en faire.
Présente déjà dans les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul, la guerre se voit attribuer un véritable album : La Guerre au vingtième siècle et dans un des derniers textes de Robida, l’Ingénieur Von Satanas, elle amène à la destruction de la civilisation, les derniers survivants retournant à l’âge des cavernes.
Les humains ne font que s’entre-déchirer et à la manière de Jacques Spitz, cinquante ans plus tard, Robida entrevoyait déjà cette nature dévastatrice de l’Homme.
Au final l’avenir que nous prédit Albert Robida est très peu décalé avec notre réalité actuelle et ce, malgré sa fantaisie et son humour.
Si de Jacques Spitz on connaît peu sa biographie, ses écrits permettent de dresser un profil assez précis de l’homme, au moins de ses idées. La BNF a reçu de la main des ayants-droits, son journal intime. Mais en attendant de pouvoir le consulter, Jacques Spitz reste encore mystérieux. [À voir si cela est désormais possible.]
Né en Algérie en 1896, Jacques Spitz s’est illustré comme un rationaliste excessif. Ancien polytechnicien, on doit lui reconnaître une obsession à trouver une logique implacable à tout événement. Il en découlera une série de romans assez pessimistes, naïfs diront certains, mais qui ne manquent pas de symbolique et qui restent condensés dans une période peu anodine, celle de la Seconde Guerre mondiale.
👉 L’Agonie du Globe (1935), par exemple, s’en prend à la planète, la scindant en deux dans l’espace, créant ainsi « deux terres » s’éloignant de plus en plus l’une de l’autre. Comment ne pas y voir un lien avec ce qu’il se passe actuellement sur les problèmes d’environnement, alors que les intérêts de chacun semblent aussi opposer deux mouvements idéologiques.
Comme chez Albert Robida, les conflits sont souvent au centre de ses œuvres, sorte de terrain d’expérimentation des réactions humaines, alors que chez son prédécesseur, c’était la prospective technique qui primait. Mais dans les deux cas, l’homme est bien peu de choses, renvoyé dans ses pénates, dénoncé dans sa condescendance, sa supériorité déplacée, pour finir comme dans 👉 La Guerre des Mouches (1938) dans un zoo. Ouvrage qui, du reste, est également un excellent pamphlet à l’encontre de la colonisation.
Son chef-d’œuvre est sans conteste L’œil du Purgatoire (1945) où le peintre Jean Poldonski, suite à l’injection dans son organisme d’un bacille par un savant fou, voit tout ce qui l’entoure vieillir à une très grande vitesse. Jeu sur le temps, le temps de l’introspection, Spitz s’y prête avec succès créant ainsi son roman le plus angoissant.
Comment expliquer qu’il ait renié sa participation au genre SF ? Sans doute, son journal le révèle-t-il. Mais quand bien-même Jacques Spitz ait eu de bonnes raisons, cela n’explique pas le désintérêt des éditeurs à l’encontre de cet auteur qui doit toujours avoir sa place entre Rosny aîné ou Barjavel.
Comme une inexorable course contre l’oubli, les descendants des uns et des autres, s’attachent à maintenir la place qui est due à leur ancêtre. L’association des Amis de Robida, créée en 1997 et qui compte environ 200 membres, s’est donnée comme objectifs de faire connaître l’œuvre du romancier-caricaturiste-illustrateur, car l'artiste est complet, à un public élargi, d’en approfondir la connaissance et de servir de lien entre ses amateurs. On notera aussi l’excellent travail de Daniel Compère, auteur de Albert Robida, du passé au futur, paru aux éditions Encrage et qui regroupe une quinzaine de textes retraçant les différentes influences de l’écrivain. La BNF contribue largement à la diffusion des ouvrages de Robida, par leur scanérisation et leur mise en ligne sur le site Gallica.
La famille de Jacques Spitz, quant à elle, bien plus discrète, a fait un cadeau considérable aux passionnés de l’écrivain en remettant à la BNF un journal intime que Spitz a rédigé de 1928 à 1962 et qui compte plusieurs milliers de pages. Se trouve également à la BNF le manuscrit d’un roman inédit : Alpha du Centaure que l’écrivain a écrit vers la fin des années 40. Selon les sources de Pierre Versins dans son Encyclopédie de l’Utopie et de la Science-fiction, ce livre aurait été publié en 1945 et mis au pilon lorsque son éditeur fut pillé par les allemands. De quoi donc espérer son intégration prochaine dans la base de données de Gallica. [Cela n'est toujours pas le cas.]
• Une association, gérée par sa descendance maintient sa mémoire : L'association des Amis de Robida. Elle publie la revue Le Téléphonoscope dédié à l'auteur.
• De jadis à demain, voyage dans l’œuvre d'Albert Robida (1848-1926) par Sandrine Doré (Silvana)
• Albert Robida, du passé au futur par Daniel Compère (Encrage)
• Albert Robida sur Wikipédia
• Gallica plusieurs ouvrages téléchargeables
• La vie électrique d'Albert Robida, magnifique réédition (Plumes et Crayons)
• Jacques Spitz sur Wikipédia
• Les Signaux du Soleil Jacques Spitz paru dans l’anthologie de Serge Lehman Chasseurs de Chimères (Omnibus)
• Joyeuses apocalypses recueil de plusieurs romans et nouvelles (Bragelonne)
• L’œil du purgatoire, son chef d’œuvre, est réédité par 👉L'Arbre Vengeur
• 👉 Dernier Exil de Jean-Michel Ponzio (Carabas, 2 tomes, 2007) Très bonne adaptation BD de L’œil du purgatoire
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C’est un grand plaisir de découvrir votre article sur Albert Robida, que Daniel Compère m’avait signalé. Je suis un des cofondateurs en 1997 de l’Association des Amis d’Albert Robida, j’en ai été le Secrétaire général jusqu’à la fin de l’année dernière. Notre Association serait heureuse de faire votre connaissance [...]. Cordialement Jean-Claude Viche
jacques spitz - Chroniques Terriennes - Le blog qui a soif de curiosité
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