17 Avril 2021
L'histoire (Côte martienne ♦♦♦)
Le premier martien sera un homme : un cosmonaute, Roger Torraway, que l'on transforme chirurgicalement afin de l'adapter aux conditions de vie sur Mars. Mi-chair mi-machine, métamorphosé dans son apparence même, Torraway est le premier d'une race incertaine entre l'homme et le cyborg. Mais peut-on se permettre de jouer impunément avec le matériau humain ? L'Homme-plus se sent-il encore lié au sort de l'humanité ? Et quelle est la force mystérieuse qui infléchit subtilement le cours de l'expérience ?
Comme le sous-entend ce résumé ci-dessus, ce roman initialement publié dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction d'avril à juin 1976, exploite une double thématique : la planète Mars et l'homme modifié. Un livre aux multiples facettes notamment scientifiques, psychologiques et politiques.
Le narrateur reste inconnu jusqu'à la fin du roman. Il semble être témoin et même acteur de tout le récit mais reste dans l'ombre. Il écoute, observe, enregistre et de nous raconter donc l’histoire : elle démarre à Tonka, en Arizona, dans une petite communauté d'astronautes, de cosmonautes et de sinonautes. Loin des déchirements réels ou latents que la Terre subit de plus en plus. Mais Tonka est aussi le siège du projet d' « Exotraitement Homme-plus », une expérience qui n'a plus de secret, et qui consiste :
à modifier un corps humain [celui de Harnett] de manière qu'il pût survivre à la surface de Mars aussi facilement qu'un homme normal pouvait marcher dans un champ de blé du Kansas.
Il en résulte un monstre dont les yeux ont été remplacés par des globes à facettes permettant une vision multiple, dont la peau a été dépourvue de pores et de poils pour ressembler plus à la matière d'une combinaison de plongée, dont tous les organes internes ont été soit transformés soit augmentés, l'ensemble lui conférant le rang de premier Martien. Un martien, qui parait plus hideux sur Terre qu'il ne le sera sur Mars. (« Il n’était pas normal qu’une chose ayant bu une bière et conçu un enfant pût être aussi horrible ».) Malgré tout, ce premier candidat au titre de cyborg se trouve victime de dysfonctionnements et s'éteint de façon inattendue.À ce moment du récit, alors que nous ne sommes que spectateurs de l'expérience, la narration prend une autre dimension avec la nomination de celui qui prend le relais de l'expérience, à savoir Roger Torraway. Parce qu'il est le héros de cette aventure et qu'il se voit subir les mêmes transformations que son ami Hartnett, nous passons de spectateur distant à témoin des introspections douloureuses de Roger. N'oublions pas que le narrateur semble toujours être au plus prêt des évènements, suffisamment pour pouvoir nous dévoiler les pensées, les dérives psychologiques et même les projections des personnages.
• À gauche : illustration de John Harris pour l'édition 1982 de Man Plus chez Granada Publishing in the UK.
• À droite : illustration de Les Edwards pour Bantam US en 1985. Elle a aussi été utilisée pour la couverture de Nexus Magazine et de Best New SF n°7
Nous sommes propulsés dans la souffrance de Roger qui se voit mutilé, transformé, modifié, subissant opérations sur opérations et devant à chaque fois s'adapter à ces nouvelles capacités visuelles ou physiques. On révise entièrement son système nerveux dans le but de le rallier à un ordinateur dorsal et on l'affuble d'ailes solaires destinées à recharger les batteries du pack et on va jusqu'à le châtrer. Ainsi malmené par ses pairs, il se retrouve aussi délaissé par sa femme, situation intolérable aux yeux du président des USA, qui ne tient pas à voir un nouvel échec se profiler. Il en va donc à la fois de la forme physique de Torraway comme de son équilibre psychologique. Tout est étudié pour que la mission réussisse.
L'expérience a une échéance particulière, liée au projet de lancement vers Mars qui comptera à son bord plusieurs scientifiques dont le cyborg alors qu'une troisième guerre mondiale semble se profiler : des émeutes éclatent à New York, la famine s'étend, des combats nucléaires dans le Golfe Persique font rage, des incendies ravagent la Californie, des épidémies de variole se propagent en Inde et la pénurie de carburant s'aggrave. Et le président Fritz-James Deshatine de dire : « Occupez-vous de Roger Torraway, je m'occuperai du reste du monde ».
Ainsi se résume cette première partie :
À l'approche du grand jour, la position de Roger commença à changer. Pendant deux semaines, il n'avait été qu'un vulgaire quartier de viande sur l'étal d'un boucher, tranché, retourné dans tous les sens, haché sans la moindre contribution de sa part aux opérations, sans le moindre contrôle sur ce qui lui arrivait. Puis il était devenu étudiant, suivant les instructions de ses professeurs apprenant à maîtriser ses et à se servir de ses membres. C’était la transition entre la préparation de laboratoire et le demi-dieu, et il avait déjà parcouru plus de la moitié du chemin.
Une chose certaine, Roger a hâte de découvrir la planète pour laquelle il a été conçu et surtout, il est de plus en plus conscient de porter le destin du monde. L'équipage est officialisé : Torraway, Kayman l'aérologue et pasteur, le général Hesbiurgh en qualité de pilote et Alexandre Bradley.
Sans nous éloigner totalement de Roger, venons-en maintenant à la planète Mars. Elle est désormais visitée par les astronautes, cosmonautes et autres sinonautes au même titre que la Lune et Mercure ; presqu’une centaine d’hommes y ont posé le pied. Mais elle sera également un refuge pour l’espèce humaine en cas de guerre mondiale ; elle représente le Monde libre. Le programme « Exotraitement », également appelé «Projet Homme-plus », doit permettre d’engendrer ce « monstre » qui en rien ne « paraissait humain, ni même terrestre » et mais qui, une fois sur Mars, aura toutes les capacités pour y vivre normalement. Tout est orchestré et dirigé par le président des États-Unis, Fitz-James Deshatine. Et afin de stimuler les améliorations du cyborg, des caissons spéciaux simulent les conditions martiennes.
Au chapitre 3 (Quand l’homme devient Martien), le mystérieux narrateur fait un rappel de l’histoire de la planète Mars depuis que l’astronome Giovanni Schiaparelli croit voir en 1877 des canaux d’irrigation. Il évoque les idées de communication qui ont traversé les esprits scientifiques de l’époque qui imaginaient une vie extraterrestre. Puis au fur et mesure des années et des siècles, Mars se révéla bien moins accueillante, bien moins mystérieuse.
Pas assez d’air, pas assez d’eau, une température trop basse et tout cela est bel et bien confirmé de nos jours. Techniquement, alors que l’homme a posé le pied sur la Lune, Mars s’avère bien plus inaccessible. Quand elle se rapproche le plus de nous, elle demeure cent fois plus éloignée que notre satellite. Et comme elle tourne autour du soleil à une vitesse différente de la notre, il faut qu’une fusée se trouve à une distance minimale, ce qui ne se produit qu’une fois tous les deux ans et pendant seulement un mois et quelques semaines. Ce qui rend l’implantation d’une colonie très difficile. Il faut en plus compter 14 mois aller-retour de voyage plus le temps passé sur place. Tout ceci amenant à la conclusion suivante, si nous ne ne pouvons pas remodeler Mars, remodelons l’humain.
Ce qui engendre le projet Homme-plus : Roger, l’homme, devient un organisme cybernétique, un homme-plus, un important ensemble d’appareils.
Car le temps presse. Des statistiques montrent notamment une probabilité d’escalade nucléaire dans les sept ans à venir. « Si d’ici là nous n’avons pas de colonie viable sur Mars, nous n’aurons peut-être jamais l’occasion d’en établir une ». De plus les mêmes ordinateurs révèlent que le projet a le soutien des électeurs. Le peuple veut qu’un Américain vive sur Mars. Et Roger, après toutes ses transformations, « brûlait de découvrir la planète sur laquelle il allait vivre et pour laquelle il avait été conçu ».
La deuxième évocation conséquente de la planète Mars est issue des réflexions de l’aérologue et père Don Kayman lors du voyage vers Mars dans le chapitre 18 (Nous franchissons le point de non retour). Le projet est au point, l’équipage a embarqué, l’atterrissage est prévu dans l’hémisphère nord dans les principales zones d’Isidieus Regio et Nepenthes et sept mois de confinement laissent de quoi réfléchir. Kayman, à la fois homme de science et homme de Dieu est celui qui pose le mieux les questions fondamentales et paradoxales de cette mission martienne et ce, jusqu’où il a fallu aller pour la rendre viable. Alors que jusqu’à présent, le cyborg était assimilé à un parfait monstre, tel celui de Frankenstein, suscitant autant l’effroi que l’interrogation, lui tente de percer cette alliance entre chair et métal.
Il se mit à apprécier la beauté interne de l’anatomie de Roger, rendant grâce à la fois pour la partie qui était l’œuvre de l’Homme et celle qui était l’œuvre de Dieu. Il ne pouvait, cependant, rendre vraiment grâce à Dieu et à l’Homme pour ce qu’ils avaient fait à l’intérieur de l’esprit de Roger.
Mais Kayman est heureux car il va sur Mars. La Barsoom de son enfance, celle qu’il a d’abord découverte au travers des récits de Edgar Rice Burroughs avant de jeter son premier regard dans un télescope et de faire des études en planétologie. Il évoque donc son rêve de trouver une vie martienne et peut-être même de l’eau même si jusqu’à présent rien ne s’est présenté. Mais Mars est trop vaste pour avoir été encore totalement parcouru. Il place cette éventualité dans la région de Solis Lacus.
Chapitre 15 (Où la Terre reçoit de bonnes nouvelles de Mars). Cette fois le lecteur se trouve enfin sur Mars. Le module à parachute s’est bien posé et nous découvrons avec les astronautes et les téléspectateurs sur Terre les décors martiens qui s’étalent devant nous. Ainsi la première colonie martienne peut enfin s’implanter en prévision des années futures où la Terre devrait évacuer sa population. Roger, le cyborg, exploite ses capacités en effectuant les tâches que ses camarades non-modifiés ne peuvent faire. Une nouvelle page de l’histoire se tourne.
J’abrège ici l’histoire afin de ne pas dévoiler les rebondissements qui surviennent.
(*Les textes en italique sont extraits de l’œuvre)
• Mars : En dépit de son diamètre inférieur, un sol plus vaste que celui de la Terre, car il n’y avait pas d’océans. Des températures convenant à la vie, si celle-ci, bien entendu, était convenablement modifiée. 10 millibars de pression. Pas assez d’air. Pas d’eau et pas la moindre nourriture. Rayons solaires non filtrés. Saisons. Sol orangé et crayeux. Horizon beige et brun. Des montagnes de plus de 1000 mètres. Du sable plein de limonite.
• Journée martienne : 37 minutes de plus qu’une journée terrestre.
• Installation : sous dômes.
• Vie martienne : une espèce de plante sous forme de bulbe de cristal irrégulier possédant une tige qui s’enfonce dans le sol et éclate en petites vrilles noires à la surface rugueuse. Elle avait la forme d’un artichaut avec des feuilles grossières, surmonté d’une coiffe cristalline d’une matière transparente.
À tous point de vue,…, un Ras Thavas ou un mollusque wellsien aurait pu émerger du sommeil, regarder autour de lui et conclure qu’il se trouvait effectivement sur Mars.
Enfant, il avait grandi avec la planète rouge d’Edgar Rice Burroughs, Barsoom la chatoyante, avec ses mers asséchées aux fonds ocres et ses petites lunes filantes. Avec l’âge, il avait appris à distinguer les faits de la fiction. Dans la mesure où la science était en contact avec la « réalité », les guerriers verts à quatre bras et la belle princesse de Mars à la peau rouge qui pondait des œufs n’avaient rien de réel. Mais il savait que la notion de « réalité », chez les savants, changeait d’une année à l’autre. Burroughs n’avait pas inventé Barsoom en suivant les méandres de son imagination, il l’avait presque totalement emprunté à la « réalité » scientifique la plus respectée de l’époque.
Frederik Pohl Homme-plus ♥♥♥ (Man Plus,1976) • Calmann-Levy
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