13 Décembre 2019
L’histoire
Grâce à l’énergie atomique, le professeur Roch a réussi à mettre au point un explosif très dangereux. C’est une découverte qui doit aider l’humanité. Or le comte Artigas, un mystérieux individu vivant dans le ventre d’un volcan, enlève Roch et son assistant Simon Hart afin de s’accaparer son invention pour ses velléités de pouvoir. Une fois ramené dans l’île dans un sous-marin, Hart est isolé du professeur mais grâce à Jana, une jeune naufragée, il donne l’alerte et une flotte internationale vient capturer Artigas. Le professeur se sacrifie pour sauver le monde et fait exploser la ville sous-marine dans laquelle il était détenu.
L'invention diabolique a été projeté en exclusivité mondiale en 1958 à l'Exposition universelle de Bruxelles durant laquelle un jury de onze membres présidé par l'écrivain Georges Simenon lui décerna à l'unanimité le « Grand Prix du Festival cinématographique » de Bruxelles.
Il ne sortit en France qu'en 1959 sous le titre Les Aventures fantastiques (et en 1961 au USA titré The Fabulous world of Jules Verne) et reçut la même année le « Prix de la Critique », puis en 1960 « l'Étoile de cristal - Prix international » prix décerné par l'Académie française du Cinéma.
Le réalisateur tchèque Karel Zeman (1910-1989), très célèbre pour son cinéma d'animation, était un grand admirateur des univers de Jules Verne et des techniques de Georges Méliès.
L'Invention diabolique s'inspire du roman de Jules Verne Face au drapeau (1896), tout en piochant dans 20 000 lieues sous les mers (1869), l’Île mystérieuse (1875) et Robur-le-Conquérant (1886).
Tout l’imaginaire de l'écrivain - les sous-marins, les abysses, son poulpe, son île-volcan, ses dirigeables - est reconstitué, associé à beaucoup de fantaisie et d'humour.
Ce long-métrage est une véritable prouesse technique et visuelle qui mêle animation et prises de vue réelles. Zeman, qui aimait les arts plastiques et expérimenter des techniques diverses, fait évoluer des acteurs de chair et d'os dans des décors composés de gravures agrandies, très souvent animés.
Il rend ainsi hommage à Léon Benett, Henri Meyer, Édouard Riou et tous ceux qui illustrèrent au XIXe siècle les publications et le Magasine d'éducation et de récréation créés par Pierre-Jules Hetzel, Jules Verne et Jean Macé. Les gravures des fonds marins proviennent essentiellement de 20 000 lieues sous les mers. Seule celle de Léon Benett représentant l’île Back-Cup est issue de l’œuvre originale Face au drapeau.
Les rayures qui caractérisent les gravures de l'époque sont présentes à chaque plan : qu’elles apparaissent en filigrane sur le ciel ou la mer, qu’elles habillent un vêtement ou soulignent les décors, elles sont partout.
Les stries horizontales ajoutent à l'image une sorte de grâce insolite, une troisième dimension.
Pour ses trucages, Zeman utilise tout ce qui est à sa portée : papiers découpés, dessins animés, gravures originales, cartes postales, marionnettes, maquettes, séquences documentaires.
La scène du train est une parfaite illustration de sa mixité technique : le train est peint ; les roues et le mécanisme sont animés ; le conducteur est réel ; le dessin des rails est rainuré pour l’effet gravure.
Quand L'invention diabolique fut exporté aux USA en 1961, le producteur Joseph E. Levine trouva un terme anglais pour définir cette technique : la mystimation.
L’Invention diabolique et un autre film de Zeman, Le Dirigeable volé, sont aujourd’hui des références incontournables de l'univers steampunk à quoi renvoient de nombreuses séquences. Un autre intérêt de ce long-métrage est de filmer « à la manière de ». Il rappelle une époque déjà révolue en 1958, celle d’un cinéma « bricolé » à petit budget qui se devait d’être inventif. Georges Méliès a été une grande source d’inspiration de même que l’univers de la BD avec des personnages aux traits caricaturaux fortement sympathiques posés devant des décors de cartons dessinés au crayon de bois.
À propos de Méliès, Zeman lisait tout ce qu’il pouvait trouver.Et il lui emprunta quelques effets visuels, notamment (source : Xavier Kawa-Topor) des décors en trompe-l’œil qu'on repère dans L'Invention diabolique et Le Dirigeable volé : l’énorme volant de la machine à vapeur mû par une bielle du troisième tableau de Voyage à travers l’impossible et le sous-marin des tableaux 3, 32 à 37 de ce même film (à savoir que le viaduc métallique du sixième tableau est également repris dans Le Dirigeable volé). Notez que ce film de Méliès, est aussi une adaptation d'une pièce de théâtre de Jules Verne.
C'est certes un film parlant mais qui n’est pas très bavard et la gestuelle théâtrale rappelle celle du cinéma muet comme pour faire la transition entre deux époques marquantes du cinéma. L'Invention diabolique n'en est pas moins très musicale, une musique parfois enjouée accentuant des scénettes très burlesques. Le son des éléments est aussi très intense comme le bruit du vent et de la tempête au début du film.
Bien sûr on peut trouver l’ambiance très légère mais elle fait écho à ces romans-feuilletons de la fin du XIXe siècle et début XXe dont les aventures rocambolesques se voulaient moins scientifiques que distrayantes.
Pour autant l'histoire n'est pas dénuée de profondeur. Karel Zeman, à l'instar de Jules Verne ou de son contemporain Albert Robida, grand illustrateur et caricaturiste, mais aussi grand dénonciateur et anticipateur des guerres futures, lance un vibrant réquisitoire contre l'utilisation d'avancées technologiques qui seraient employées à des fins néfastes. Le roman original, Face au drapeau, bien que plus sombre que cette libre adaptation, anticipait l’ère du nucléaire.
En complément
• Xavier Kawa-Topor Cahier de notes sur... Le dirigeable volé (.pdf)
Ce fascicule de sept pages, très riche en informations sur le réalisateur et son univers a été réalisé par un grand connaisseur de l’œuvre de Karel Zeman. Même s'il porte sur un autre chef-d’œuvre, Le dirigeable volé, cet article est une merveilleuse source.
• Critique de Charles Dobzynski dans l'hebdomadaire La France Nouvelle du 11 juin1959
• Le musée Karel Zeman, à Prague
Karel Zeman L’Invention diabolique ♥♥♥ (Vynález zkázy, 1958) [1h23, N/B] • produit par Československý Státní Film Avec Lubor Tokos, Jana Zatloukalová, Miloslav Holub, Arnost Navrátil, Frantisek Cerný
Crédits images & textes ©2014-2021 Herveline Vinchon - Cet article a été écrit en mai 2014 pour le site néo-calédonien les Échos d'Altaïr et mis à jour en décembre 2019 - Ne pas reproduire sans autorisation
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